sábado, 29 de abril de 2017

J’ai décrété dans ma bonté, pour honorer le Verbe incarné, que quiconque, juste ou pécheur, recourrait à Marie avec amour et respect, ne pourrait jamais être la victime et la proie du monstre infernal.

arie.com
Sainte Catherine de Sienne
Traité de la Providence
CXXXV.- De la providence de Dieu en général.
1.- Alors l’Éternel, dans son ineffable clémence, jeta sur cette âme un regard plein de tendresse, et voulut bien lui expliquer comment sa divine providence ne manque jamais à personne, pourvu qu’on l’accepte humblement. Il s’exprima ainsi, en se plaignant doucement de ses créatures raisonnables : O ma fille bien-aimée! combien de. fois te l’ai-je répété! oui, je veux faire miséricorde au monde et assister chacun selon ses besoins ; mais l’homme ignorant trouve la mort où j’ai placé la vie. Moi je veille toujours, et je veux que tu comprennes que ce que je donne à chacun est réglé par mon infinie providence.
2.- C’est ma providence qui a créé l’homme ; et, lorsque je l’ai regardé en moi-même, je me suis passionné pour la beauté de ma créature, parce que ma providence souveraine l’avait créé à mon image et ressemblance. Je lui ai donné la mémoire pour qu’il se rappelât mes bienfaits et qu’il participât à la puissance du Père ; je lui ai donné l’intelligence pour que, dans la sagesse du Fils il connût et comprît ma volonté, car je suis la source de toutes les grâces, que je répands avec un ardent et paternel amour. Je lui ai donné la volonté pour aimer, afin qu’en participant à la bonté du Saint Esprit il put aimer ce qu’avait vu et connu son intelligence. 
Ma douce providence a fait cela pour que l’homme fût capable de me comprendre et de nie goûter dans la joie suprême d’une éternelle vision.
3.- Comme je te l’ai déjà dit, le ciel était fermé par la désobéissance de votre premier père Adam, qui méconnut la dignité de son origine et ne vit pas avec quelle (265) ineffable tendresse je l’avais créé. Il tomba dans la désobéissance, et ensuite dans la corruption par orgueil et par faiblesse pour sa femme, aimant mieux lui céder et lui plaire qu’obéir à mon commandement. Il voyait l’injustice de ce qu’elle lui proposait, mais il y consentit pour ne pas l’affliger. C’est de cette désobéissance que naquirent les maux de la terre. Tous, vous avez ressenti les effets de ce poison, dont je t’expliquerai ailleurs les dangers, pour te faire mieux comprendre les avantages de l’obéissance.
4.- Pour éloigner de l’homme cette mort de la désobéissance et vous sauver de cette extrémité, je vous ai donné mon Fils unique par un acte de mon infinie providence ; car, en unissant ma divinité à votre humanité, j’ai vaincu le démon, qui ne voulut pas connaître ma Vérité. En s’incarnant elle consuma et détruisit le mensonge par lequel il avait trompé l’homme ; et ce fut un grand acte de ma providence.
5.- Considère, ma fille bien-aimée, que je ne pouvais faire plus que de vous donner mon Fils unique ; je l’ai soumis à une grande obéissance afin qu’il délivrât le genre humain du venin que la désobéissance de votre premier père avait répandu dans le inonde. Transporté d’amour et d’obéissance, il s’est élancé vers la mort ignominieuse de la sainte Croix, et par cette mort il vous a donné la vie, non pas en vertu de l’humanité, mais en vertu de la divinité que j’avais miséricordieusement unie à votre nature pour satisfaire à la faute commise contre moi, le Bien infini, qui demandais une réparation infinie.
6.- La nature humaine finie devait s’unir à un être infini afin de pouvoir me satisfaire d’une manière infinie pour tous les hommes passés, présents et futurs. Afin que toutes les fois qu’un homme m’offenserait, il pût me satisfaire et revenir à moi pendant sa vie, j’ai uni la nature divine à votre nature humaine, et dans cette union vous ayez le moyen d’une satisfaction parfaite. C’est là un grand bienfait de ma providence, puisqu’un acte fini et limité par le supplice de la Croix vous a donné dans mon Fils un fruit infini par la vertu de sa divinité.
7.- Ma paternelle et infinie providence permet ainsi à l’homme de revêtir un vêtement de grâce, lorsqu’il a perdu (266) la robe d’innocence, et que, dépouillé de toute vertu, il meurt de faim et de froid pendant son pèlerinage, où il est soumis à toutes les misères. La porte du ciel lui était fermée, et il n’avait aucune espérance qui pût consoler son malheur d’ici-bas ; c’était là pour lui une immense affliction.
8.- Moi, l’Éternel et l’Amour infini, j’ai miséricordieusement secouru l’homme dans son indigence. Ce ne sont pas vos mérites et vos vertus, mais seulement mon ineffable bonté qui m’a porté à vous dominer le vêtement désirable de mon Fils, qui s’est dépouillé lui-même de la vie par la mort, pour vous revêtir de grâce et d’innocence. Cette grâce et cette innocence, vous l’avez reçue dans le saint baptême par l’efficacité de son précieux sang, qui a lavé en vous la tache originelle que vous avaient transmise vos parents. Ma providence a usé de toute la tendresse possible, puisqu’elle ne s’est pas servie, comme dans l’Ancien Testament, de la peine corporelle de la circoncision, mais de la douce efficacité du saint baptême.
9.- Non seulement j’ai revêtu l’homme, mais je l’ai réchauffé, lorsque j’ai donné au genre humain mon Fils, dont les blessures qui déchirèrent son corps laissèrent échapper le feu de mon infinie charité, caché sous la cendre de votre humanité. N’était-ce pas assez pour embraser le coeur glacé de l’homme, et ne faut-il pas qu’il soit bien rebelle et bien aveuglé par l’amour-propre, pour ne pas voir l’affection tendre et dévouée que je lui porte?
10.- Ma providence lui a encore donné la nourriture de vie qui doit le soutenir pendant le cours de son pèlerinage ; elle le rend plus fort que ses ennemis, et nul ne peut lui nuire, s’il n’y consent dans sa volonté, Une voie droite et facile a été tracée par le sang de ma Vérité incarnée, pour que l’homme puisse atteindre la fin que ma grâce lui a destinée. Quelle est cette nourriture? je te l’ai déjà dit : c’est le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ crucifié, qui contient un Dieu et l’homme tout ensemble ; c’est le Pain de vie, le Pain des anges, qui donne faim à celui qui le savoure, et laisse insensible celui qui n’en a pas le désir. Car cette nourriture doit être prise avec un saint désir et goûtée avec un ardent amour. Tu vois que ma providence a donné, à l’homme tous les secours qui lui sont nécessaires. (267)



CXXXVI.- Dieu a donné l’espérance à l’homme.- Plus on espère, plus on goûte parfaitement sa providence.




1.- J’ai donné encore à l’homme le secours de l’espérance. Dès qu’à la lumière sainte de la foi il contemple le prix du Sang précieux qui a été payé pour lui, cette vue doit mettre dans son coeur une espérance ferme et la certitude de son salut. L’honneur lui est rendu par Les opprobres de Jésus crucifié ; car, s’il m’a souvent offensé par tous les membres de son corps,  Jésus mon Fils bien-aimé, a souffert d’affreux tourments. Son humble obéissance a corrigé, purifié la désobéissance d’Adam et sa postérité. Par cette obéissance vous avez tous acquis la grâce, comme par la désobéissance de votre premier père vous aviez tous contracté la faute. C’est là le plan de ma providence, qui n’a jamais manqué à l’homme depuis le commencement du monde jusqu’à cette heure. Elle pourvoira jusqu’au dernier jour à toutes vos nécessités.
2.- Je suis le bon et parfait Médecin, qui connaît ce qui est nécessaire à votre faiblesse et ce qui est utile à votre salut ; je vous rendrai une santé parfaite et je vous la conserverai. Ma providence ne fera jamais défaut à celui qui voudra la recevoir et qui placera toute son espérance en moi. Celui qui espère en moi, qui frappe et qui appelle véritablement, non seulement avec la parole mais avec l’élan et la lumière d’une sainte foi, celui-là me goûte dans ma providence, mais non celui qui frappe et m’appelle en disant seulement : Seigneur, Seigneur.
3.- Celui qui me cherche ainsi et me demande sans autre mérite, je ne le connaîtrai pas dans ma miséricorde, mais dans ma justice. Tu sais que l’homme ne peut espérer en deux choses opposées ; la Vérité incarnée a dit dans l’Evangile : « Nul ne peut servir deux maîtres, car, s’il en sert un, il méprisera l’autre » (S. Luc. XVI,13). On ne peut servir sans espérance : le serviteur qui sert son maître le fait dans l’espoir de lui plaire ou dans l’attente de quelque récompense, de quelque avantage. Il ne servira jamais l’ennemi de son maître, parce (268) qu’il ne peut en retirer quelque profit, et parce qu’il perdrait même ce qu’il a droit d’attendre de celui dont il est le serviteur. Apprends, ma fille bien-aimée, qu’il en arrive ainsi pour l’âme.
4.- Il faut qu’elle espère en moi et qu’elle me serve, ou qu’elle espère en elle-même et dans le monde, et qu’elle le serve. Elle sert le monde hors de moi autant qu’elle aime la sensualité et qu’elle lui obéit ; si elle le sert, c’est qu’elle trouve dans ce service et cet amour un avantage, une jouissance qui lui plait. Son espérance, placée dans une chose finie, est vaine et passagère. L’âme se trompe et n’atteint pas le but qu’elle désirait ; tant qu’elle espère en elle et dans le monde, elle n’espère pas en moi-puisque je hais le monde, c’est-à-dire les vains désirs de l’homme. Je les ai tellement en horreur, que c’est à cause d’eux que j’ai fait subir à mon Fils unique la mort ignominieuse de la Croix. Le monde n’a aucune ressemblance avec moi, ni moi, avec lui.
5.- L’âme au contraire qui espère en moi, et qui me sert de tout son coeur, refuse nécessairement sa confiance au monde ,et ne saurait la placer dans sa propre faiblesse. Son espérance est plus ou moins parfaite selon le degré de son amour pour moi, et c’est dans la même mesure qu’elle goûte ma providence. 
Ceux qui espèrent en moi et me servent dans le seul but de me plaire, la goûtent mieux que ceux qui le font à cause du profit qu’ils en retirent, ou du bonheur qu’ils trouvent en moi. Les premiers sont ceux dont je t’ai fait connaître la perfection en t’expliquant les états de l’âme ; les autres, dont je te parle maintenant, sont ceux dont je t’ai montré l’imperfection, parce qu’ils marchent et servent avec l’espoir d’une récompense ou du bonheur qu’ils trouvent en moi.
6.- Ces parfaits et ces imparfaits sont l’objet de ma plus tendre sollicitude, pourvu qu’ils n’espèrent pas en eux-mêmes ; car la présomption, cette espérance de l’amour-propre, obscurcit l’intelligence et la prive de la sainte lumière de la foi. L’homme ne marche plus à la lumière de la raison et ne connaît pas ma providence. Il l’éprouve cependant ; nul n’en est exclu, les justes et les pécheurs ; car tout est créé par ma bonté. Je suis Celui qui suis, et sans moi rien ne se fait, excepté le péché, qui n’est pas. (269)
7.- Tous me reçoivent de ma providence ; mais il en est qui ne la comprennent pas, parce qu’ils ne la reconnaissent pas ; et, ne la reconnaissant pas, ils sont pour elle sans amour. Ils voient tout en désordre, comme des aveugles, quoique tout soit dans l’ordre. Ils prennent la lumière pour les ténèbres, et les ténèbres pour la lumière, et, parce qu’ils ont mis leur espérance et leur soin dans les ténèbres, ils murmurent et tombent dans l’impatience.
8.- Vois, ma fille bien-aimée, quelle est la folie de leur pensée. Comment peuvent-ils croire que moi, qui suis l’éternelle et souveraine Bonté, je puisse vouloir autre chose que leur bien dans les petites choses que je permets tous les jours pour leur salut, lorsqu’ils savent par expérience que dans les grandes je n’ai d’autre but que leur sanctification? Malgré tout leur aveuglement ils devraient, avec la simple lumière naturelle, reconnaître ma bonté et les bienfaits de ma providence, qui ne peut leur échapper dans la création, et dans la régénération de l’homme par le Sang qui fait renaître à la grâce.
9.- Il y a là une évidence que rien ne peut contredire, et cependant ils s’effrayent de leur nombre même, parce qu’ils n’ont pas développé la lumière naturelle dans la vertu. L’homme insensé n’aperçoit pas, ne remarque pas que toujours, j’ai pourvu au monde en général, et à chacun en particulier, selon son état ; et comme dans cette vie présente rien n’est stable, que tout change sans cesse, jusqu’à ce que son but soit atteint, je règle ce qui convient à chaque chose et à chaque instant.


CXXXVII.- De la providence de Dieu dans l’Ancien et le Nouveau Testament.




1.- Dans l’ancien Testament, ma providence a donné les tables de la loi à Moïse ; et à mon peuple, pour le conduire, des prophètes éclairés par l’Esprit Saint. Avant l’incarnation de mon Fils, la nation juive a presque toujours eu des prophètes, afin que leur parole inspirée lui donnât l’espérance de voir ma Vérité revêtir un corps, et le Prophète des prophètes venir la délivrer de la servitude (270), et lui ouvrir, par son sang précieux, le ciel, qui avait été si longtemps fermé.
2.- Dès que mon Verbe bien-aimé se fut incarné, aucun prophète ne parut, afin que les Juifs fussent certains que celui qu’ils attendaient était venu. Les prophètes n’avaient plus besoin de l’annoncer ; leur aveuglement seul les empêchait de le reconnaître. Ma providence envoya donc mon Verbe, qui fut votre médiateur auprès de moi, l’Éternel. Après lui vinrent les apôtres, les martyrs, les docteurs et les confesseurs.
3.- Ma providence pourvoit à toute chose, et elle agira ainsi jusqu’à la fin. Cette providence générale regarde toute créature raisonnable, dès qu’elle veut en accepter les dons. .Ma providence règle aussi tout en particulier, la vie, la mort, de quelque manière qu’elles viennent ; la faim, la soif, les pertes de fortune, la nudité, le froid, la chaleur, les injures, les abaissements et les affronts. Je permets que toutes ces choses arrivent aux hommes, sans que je sois pour cela la cause de la volonté perverse qui fait le mal ou l’injure. Je donne à l’homme l’être et le temps, non pas pour qu’il m’offense et qu’il offense son semblable, mais pour qu’il me serve fidèlement, et qu’il serve le prochain par la charité. Je permets le mal pour exercer la patience de l’âme qui en souffre, ou pour qu’elle se connaisse humblement.
4.- Quelquefois je permettrai que le juste soit combattu par le monde entier. Sa mort même causera un grand étonnement ; il semblera, injuste que cet homme périsse violemment par l’eau, par le feu, par la dent d’une bête féroce ou par la ruine de quelque édifice. Et en effet, cela doit être inexplicable pour l’oeil qui n’a pas la lumière sainte de la foi. Mais il n’en est pas de même pour celui qui m’est fidèle.
5.- Celui-là trouve et goûte par l’amour ma providence dans les grandes choses ; il voit et reconnaît que ma providence dispose tout avec tendresse pour le salut de l’homme ; il reçoit tout avec un humble respect ; rien ne le scandalise, en lui, dans mes oeuvres et dans le prochain ; il supporte tout avec une patience si sincère, parce qu’il sait que ma providence ne manque jamais à aucune créature, car c’est elle qui préside à tout. Lorsque (271) je brise quelqu’un par la foudre et la tempête, on m’accuse de cruauté, on pense que j’ai négligé le salut de cette personne ; et j’ai permis ce malheur, Je l’ai frappée pour la sauver de la mort éternelle. Ainsi les hommes du monde insultent toutes mes oeuvres, en les jugeant mal et en les expliquant avec leur faible raison.


CXXXVIII.-Tout ce que Dieu permet est pour notre salut.- Combien sont aveugles ceux qui pensent le contraire.




1.- Je veux, ma fille bien-aimée, que tu voies et que tu comprennes quelle patience il me faut pour supporter l’homme, que j’ai créé avec tant d’amour à mon image et ressemblance. Ouvre l’oeil de ton intelligence, et regarde en moi. Considère l’effet particulier d’une prière que tu as faite à ma providence, et tu verras avec quel bonheur cette grâce a été obtenue sans danger de mort. Ce qui est arrivé dans ce cas particulier arrive aussi en toutes choses.
2.- Alors cette âme, ouvrant l’oeil de son intelligence à la sainte lumière de la foi, avec l’ardent désir que la parole de Dieu lui avait inspiré, connut davantage la vérité ; et contemplant, selon l’ordre qu’elle avait reçu, les bienfaits de la Providence, elle considérait la bonté de la Majesté divine et de son ineffable charité ; elle y voyait clairement cette Bonté éternelle et souveraine qui, non seulement nous a créés avec tendresse, mais nous a encore rachetés avec le sang précieux de son Fils. C’était du même amour que sortaient toutes choses et que s’épanchaient sur chacun les épreuves et les consolations. Sa paternelle sollicitude apparaissait dans toutes les créatures, et son unique but était le salut éternel des hommes ; la preuve évidente était dans ce Sang versé avec une si ardente charité.
3.- Alors Dieu le Père lui dit : Combien sont aveuglés par l’amour-propre ceux qui se scandalisent et s’impatientent! Je te parle de ma providence générale et particulière, dont je vais continuer à t’entretenir. Ces hommes jugent injustement et condamnent, pour leur malheur et leur ruine, ce que je fais par amour pour eux et pour (272) leur bien, afin de les sauver des flammes de l’enfer et de les conduire heureusement à des joies éternelles. Et pourquoi se plaignent-ils de moi? C’est qu’au lieu d’espérer en moi, ils espèrent en eux-mêmes, et ils tombent ainsi dans les ténèbres.
4.- Ils méconnaissent et détestent ce qu’ils devraient recevoir avec le plus grand respect. Dans leur orgueil ils veulent scruter mes jugements secrets, qui sont tous droits et justes. Ils font comme un aveugle guié, avec l’imperfection des sens qui lui restent, voudrait distinguer la beauté et les défauts des choses extérieures. Ils ne veulent pas se confier en moi, qui suis la vraie Lumière, la souveraine Sagesse et la source de leur vie spirituelle et corporelle, puisque sans moi ils ne peuvent rien avoir et rien faire. S’ils reçoivent quelques services d’une créature, c’est moi qui ai dirigé cette créature, et tout disposé pour qu’elle voulût et qu’elle pût leur être utile.
 5.- Ces insensés ne veulent voir les choses qu’en les touchant ; mais la main se trompe souvent, parce qu’elle manque de lumière et qu’elle ne peut discerner les couleurs. Le goût s’égare aussi, parce qu’il ne distingue pas l’animal immonde qui sert d’aliment. L’oreille est séduite par la douceur des sons ; mais elle ne voit pas celui qui chante et qui cache, si l’on n’y prend garde, des coups mortels sous cette mélodie. Ainsi font les aveugles qui ont perdu la lumière de la raison. Ils touchent avec la main des sens extérieurs de la vie charnelle du monde, des plaisirs qu’ils croient bons ; ils ne s’aperçoivent pas que ces plaisirs sont des choses mêlées et entourées de beaucoup d’épines, de misères, d’angoisses, et que le coeur qui veut les posséder sans moi y trouve un poids insupportable.
6.- Ces plaisirs semblent doux et agréables à la bouche qui les désire. Lorsqu’on les aime désordonnément, on ne s’aperçoit pas qu’en eux est la chair immonde du péché mortel, qui souille l’âme, l’éloigne de ma ressemblance et détruit la vie de la grâce. Ceux qui ne s’appliquent pas, avec la lumière de la foi, à purifier leur âme dans le Sang, contractent dans, ces plaisirs une mort éternelle.
7.- L’amour-propre rend des sons harmonieux ; l’âme en est séduite parce qu’elle obéit à la sensualité. Elle se (273) laisse aller sur une pente mauvaise, et tombe dans le précipice chargée des chaînes du péché, et livrée aux mains de ses ennemis. L’amour-propre et l’espérance qu’elle a placés en elle-même l’ont aveuglée ; elle ne se confie plus à moi, qui suis la voie et le guide fidèle. Cette voie a  été tracée au genre humain par le Verbe incarné, mon Fils unique, qui vous a dit formellement : Je suis la Voie, la Vérité, la Vie. Il est aussi la Lumière ; celui qui va par lui ne peut être trompé et ne marche pas dans les ténèbres. Personne ne peut venir à moi sans lui, parce qu’il est un avec moi. Je te l’ai déjà dit, j’en ai fait un pont pour que vous puissiez venir sûrement jusqu’à moi, qui suis votre dernière fin.
8.- Les hommes ignorants et ingrats ne se confient point à moi, qui ne désire et ne cherche autre chose que leur sanctification. C’est pour cette fin que mon amour permet et dispose toutes choses. Les hommes se scandalisent sans cesse de moi, et je les supporte toujours avec patience malgré leurs vices. Je les ai aimés même avant leur naissance, et je n’en suis pas aimé. Ils me persécutent tous les jours par leur impatience, leur haine, leurs murmures. Ils veulent, dans leur ignorance, pénétrer mes jugements secrets, qui sont toujours justes et pleins d’amour. Ils s’ignorent eux-mêmes et ne peuvent rien juger ; car celui qui ne se connaît pas ne peut pas me connaître, et comprendre par conséquent ma justice.




CXXXIX.- De l’action de la Providence pour sauver une âme.




1.- Si tu veux savoir maintenant, ma chère fille, combien le monde se trompe sur les mystères de ma Providence, ouvre les yeux de ton intelligence ; regarde en moi, et tu verras le cas particulier que je t’ai promis de te montrer (C’était à ce cas particulier que se rapportait sans doute la quatrième demande de sainte Catherine, ch. I, 1.). Je pourrais te faire connaître bien d’autres exemples semblables. Alors cette âme fidèle, obéissant à l’ordre de Dieu le Père, regarda en lui avec un ardent (274) désir, et Dieu lui montra clairement la perte de celui auquel l’évènement était arrivé. Je veux que tu voies, lui dit-il, que pour éviter l’éternelle damnation que méritait cet homme, j’ai permis cette catastrophe inattendue. Il fallait que, par ce moyen terrible, son sang, par la médiation du sang de mon Fils bien-aimé, lui achetât la vie éternelle.
2.- Je n’avais pas oublié son amour et son respect pour Marie, la glorieuse Mère de mon Fils, et j’ai décrété dans ma bonté, pour honorer le Verbe incarné, que quiconque, juste ou pécheur, recourrait à Marie avec amour et respect, ne pourrait jamais être la victime et la proie du monstre infernal. Marie est comme une douce amorce offerte par ma bonté pour attirer les hommes et surtout les pécheurs.
3.- C’est donc par un acte de mon infinie miséricorde que j’ai permis cet accident. Ce n’est pas moi qui ai fait la volonté coupable des méchants ; j’en ai voulu seulement le résultat, que les hommes ont trouvé si cruel, parce que leur amour-propre les prive de la lumière et leur cache ma Vérité. S’ils dissipent le nuage, ils la verraient et l’aimeraient ; ils accepteraient tout avec respect, et, quand viendrait le temps favorable, ils recueilleraient avec joie le fruit de leurs travaux.
4.- Ma fille bien-aimée, sois certaine que pour ce que tu me demandes, je remplirai ton désir et celui de mes autres amis. Je suis votre Dieu ; je récompense avec justice la peine, et je satisfais les saints désirs, pourvu qu’on frappe véritablement à la porte de ma Vérité, afin de ne pas errer et d’espérer toujours en ma Providence.



CXL.- Dieu explique sa providence envers ses créatures, et se plaint de leur infidélité.




1.- Après t’avoir montré ma providence dans cette occasion, je veux te l’expliquer dans son action générale. Tu ne pourras jamais comprendre à quel degré l’ignorance de l’homme est grande. II perd l’intelligence lorsqu’il espère en lui et qu’il se confie dans son propre sens. O pauvre insensé, ne vois-tu pas que tu ne sais rien de (275) toi-même, et que c’est ma bonté qui t’accorde tout selon tes besoins? Qui te le fera donc comprendre? Ton expérience même.
2.- Combien souvent veux-tu faire une chose sans le pouvoir et sans le savoir faire! Quand tu le sais, tu ne le peux pas, le temps te manque ; si tu as le temps, c’est la volonté qui te fait défaut. Tout t’a été donné par ma grâce pour ton salut, pour que tu reconnaisses et tu comprennes que tu n’as pas l’être par toi-même, et pour que tu aies plus raison, de t’humilier que de t’enorgueillir. En toute chose tu trouves des privations et des changements, parce que rien n’est en ta puissance ; il n’y a
que ma grâce que tu trouveras ferme et inébranlable aucune force ne pourra t’en séparer, à moins que tu t’en éloignes toi-même en retournant au mal.
3.- Comment donc peux-tu résister à ma bonté? Le ferais-tu, si tu consultais ta raison, et placerais-tu tes espérances dans tes pensées, et ta confiance en ce qui vient de toi? Mais tu es devenu comme l’animal sans raison ; tu ne vois pas et tu ne reconnais pas que tout change, excepté ma grâce. Pourquoi ne pas te fier à moi, qui suis ton Créateur? pourquoi compter sur toi? Ne te suis-je pas toujours fidèle? Comment pouvoir en douter, puisque tu l’éprouves tous les jours?
4.- O ma fille bien-aimée! vois combien l’homme m’est infidèle. Il manque à l’obéissance que je lui avais imposée, et il tombe dans la mort. Moi, au contraire, je lui ai toujours été fidèle, en lui procurant le bien pour lequel je l’avais créé. Afin qu’il puisse l’atteindre et le posséder, j’ai uni ma divinité à l’infirmité de sa nature. L’homme, ainsi racheté et renouvelé dans la grâce par le sang de mon Fils bien-aimé, devrait me connaître par expérience. Et cependant ce pauvre infidèle semble douter que je sois assez puissant pour le secourir, assez fort pour le défendre contre ses ennemis, assez sage pour éclairer son intelligence, assez bon pour lui donner ce qui est nécessaire à son salut.
5.- Il pense que je n’ai pas des trésors pour le rendre riche, une beauté pour l’embellir, une nourriture pour le rassasier, un vêtement pour le couvrir. Ses actions prouvent qu’il en juge ainsi. S’il en était autrement, ne ferait-il (276) pas des oeuvres bonnes et saintes? L’expérience devrait pourtant lui montrer que je suis fort ; car tous les jours je conserve son être, et ma main le défend contre ses ennemis. Personne ne peut résister à l’action de ma puissance ; si l’homme ne le voit pas, c’est qu’il ne veut pas voir.
6.- Ma sagesse a tout ordonné dans le monde, et le gouverne avec tant de sollicitude, que rien n’y manque, et qu’il est impossible d’y ajouter quelque chose pour l’âme et pour le corps. J’ai pourvu à tout, sans que votre volonté m’y ait forcé, puisque vous n’étiez pas encore, et c’est ma seule bonté qui m’a fait agir. J’ai créé le ciel, la terre et la mer : j’ai étendu le firmament au dessus de vos têtes ; j’ai fait l’air pour que vous respiriez, le feu et l’eau pour les modérer par leur opposition ; le soleil, pour que vous ne fussiez pas dans les ténèbres : tout a été fait et ordonné pour satisfaire aux besoins de l’homme. Le ciel est peuplé d’oiseaux, la mer est riche de poissons, la terre, d’animaux et de fruits, afin que l’homme puisse en vivre. Ma providence a tout réglé avec ordre et sagesse.
7.- Après avoir créé toutes ces choses bonnes et parfaites, j’ai enfin créé l’homme à mon image et ressemblance, et je l’ai placé dans un jardin qui, par la faute d’Adam, a produit des épines, tandis qu’il n’avait donné d’abord que des fleurs embaumées d’innocence et de sainteté. Tout obéissait à l’homme ; mais, dès qu’il eut commis sa faute, il trouva la révolte en lui et dans les autres créatures. Le monde devint sauvage, et l’homme, qui le résume, partagea son sort.
8.- Mais ma tendresse paternelle vint à son secours en envoyant au monde mon Verbe, qui en ôta la stérilité de la chute et en arracha les épines. Je refis du monde un beau jardin que j’arrosai avec le Sang précieux de mon Fils unique, et, après en avoir ôté les épines du péché mortel, j’y plantai les fleurs des sept dons du Saint Esprit.
9.- Cela fut accompli seulement après la mort de mon Fils, ainsi que l’explique une figure de l’Ancien Testament. Élisée fut prié de ressusciter un enfant (IV Reg. IV, 22) ; il n’y alla pas, mais il envoya Giézi avec son bâton, lui ordonnant de placer le bâton sur celui qui était mort. Giézi exécuta ce qui lui avait été commandé, mais l’enfant (277) ne ressuscita pas. Alors Elisée vint en personne ; il appliqua ses membres aux membres de l’enfant, lui souffla sept fois au visage, et l’enfant fut rappelé à la vie. Cette figure représente Moïse, que j’ai envoyé avec le bâton de la loi, pour qu’il l’appliquât sur le genre humain, qui était mort ; mais le bâton de la loi ne lui rendit pas la vie, j’envoyai donc mon Fils unique, qui est figuré par Elisée, et qui prit les proportions du mort par l’union de la nature divine avec la nature humaine. Cette nature divine lui fut, unie par tous ses membres, par la puissance du Père, par la sagesse du Fils et par la clémence du Saint Esprit. Ainsi, moi, Dieu éternel, dans mon unité et ma trinité, je fus muni et assimilé à votre nature humaine.
10.- Après cette union, le Verbe adorable en fit une autre. Dans l’ardeur de son amour, il s’élança vers la mort ignominieuse de la Croix pour s’y livrer tout entier. Et après cette seconde union, il donna les sept dons du Saint Esprit à celui qui était mort, en respirant sept fois sur son visage, et en soufflant dans la bouche de son coeur. Il ôte ainsi dans le baptême la mort du péché, et rend la vie de la grâce. Le mort respire aussitôt, et en signe de vie, il rejette ses péchés par une humble confession.
11.- Alors le jardin est orné de fruits suaves et délicieux. Il est vrai que le jardinier, qui est le libre arbitre, peut le me rendre fertile ou sauvage, selon qu’il le cultive ou le néglige. Car, s’il y sème le poison de l’amour-propre, qui fait naître les sept vices capitaux et tous ceux qui viennent d’eux, il chasse les sept dons du Saint Esprit et se prive de toute vertu. Il n’y a plus de force, parce qu’il s’est affaibli ; il n’y a plus de tempérance et de prudence, parce qu’il a perdu la lumière dont se servait sa raison ; il n’y a plus de foi, d’espérance, de justice, parce qu’il est devenu injuste. Il espère en lui, et parce que sa foi est morte, il se confie plutôt dans les créatures qu’en moi, son Créateur. Il n’y a plus de charité, parce qu’il l’a détruite dans son coeur par l’amour de sa propre faiblesse. Et parce qu’il a été cruel envers lui-même, il ne peut être bon envers son prochain. Ainsi privé de tout bien, il tombe dans le mal et dans les horreurs de la mort.
12.- Comment pourra-t-il retrouver la vie ? Par Elisée, par le Verbe, mon Fils unique. Et de quelle manière? Le (278) jardinier arrachera les épines de sa faute par une sainte haine de lui-même ; car, s’il ne se hait pas, il ne pourra jamais les arracher. Qu’il s’empresse de se conformer, par un amour sincère, à la doctrine de ma Vérité incarnée ; qu’il arrose son jardin avec le sang précieux de mon Fils, avec ce Sang que le prêtre répand sur la tête du pécheur, lorsqu’il reçoit l’absolution, avec la contrition, la confession, la satisfaction et la ferme résolution de ne plus m’offenser. De cette manière, l’homme peut renouveler et comme le jardin de son âme pendant cette vie ; mais après sa mort, il ne pourra plus le faire, comme je te l’ai expliqué ailleurs.


CXLI.- La Providence nous envoie la tribulation pour notre salut.- Malheur de ceux qui espèrent en eux-mêmes au lieu d’espérer en Dieu.


1.- Vois comment ma providence a réparé la ruine de l’homme, J’ai laissé dans le monde les épines nombreuses de la tribulation, et l’homme y a rencontré la révolte en toutes choses. Je l’ai voulu ainsi pour votre bien, car il était très utile que l’homme ne mit pas son espérance dans la vie présente, pour qu’il courût avec ardeur vers moi, son bonheur véritable et sa fin dernière. Les peines et les contrariétés doivent détacher son coeur du inonde et l’élever vers moi. Et cependant l’homme, dans son ignorance, ne voit pas cette vérité. Il est si faible et si porté aux choses du monde, que, malgré les peines et les tribulations qu’il y rencontre, il ne voudrait jamais .s’en séparer pour retourner dans la patrie qui lui est préparée.
2.- Tu peux comprendre par cela, ma fille bien-aimée, et que ferait l’homme malheureux s’il trouvait dans le monde la jouissance, la satisfaction de ses désirs, et un repos sans orage. Aussi, par un acte miséricordieux de ma douce providence, je permets que le monde produise des peines et des épreuves en abondance ; c’est le moyen d’éprouver sa vertu, et je trouve dans la violence qu’il se fait le motif de lui donner une récompense. Ma providence règle ainsi tout avec une souveraine sagesse. (279)
3.- J’ai donné beaucoup à l’homme, parce que je suis riche, et je puis lui donner bien davantage, parce que mes richesses sont infinies. Tout a été fait par moi, et sans moi rien ne pourrait être. Si quelqu’un veut voir et posséder la beauté, je suis la beauté suprême ; si quelqu’un désire la bonté, je suis l’éternelle Bonté. Je suis la vraie Sagesse, la Douceur, la Tendresse, la Justice, la Miséricorde par excellence. Je suis un Dieu prodigue et non pas avare, j’accorde avec abondance à ceux qui me demandent, j’ouvre avec empressement à ceux qui frappent véritablement, et je réponds à, tous ceux qui m’appellent. Je ne suis pas ingrat, mais reconnaissant, et je récompense avec largesse ceux qui souffrent pour ma gloire. Je suis aimable surtout, et je conserve dans une grande joie l’âme qui s’est revêtue de ma volonté. Je suis cette providence certaine qui ne manque jamais à mes serviteurs qui espèrent en moi ; je leur accorde tout ce qui est utile pour l’âme et pour le corps.
4.- L’homme infidèle me voit nourrir le ver dans un bois aride, faire vivre les animaux sauvages, les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, régler le soleil, la rosée, les saisons, pour engraisser la terre qui doit porter des plantes et des fruits. Comment peut-il croire que je ne veille pas sur lui, que j’ai créé à mon image et ressemblance, lorsque j’ai tout fait pour ses besoins et son service? De quelque côté qu’il se tourne, spirituellement ou temporellement, il ne pourra trouver autre chose que l’abîme et le feu de mon éternelle charité, qui agit avec une vraie et parfaite sagesse.
5.- Mais il ne voit pas, parce qu’il s’est privé de la lumière, et qu’il ne veut pas voir. Il se trouble et limite sa charité envers le prochain, parce qu’il s’inquiète avec avarice du lendemain. Ma Vérité le lui a défendu lorsqu’elle a dit : « Ne pensez pas au lendemain, à chaque jour suffit sa peine » (S. Matth. VI, 34). Cette parole condamne votre infidélité, en vous montrant ma providence et la rapidité du temps ; elle vous dit de ne pas penser au lendemain : car pourquoi se tourmenter de ce qu’on n’est pas sûr d’avoir ?
6.- Il faut, avant tout, chercher le royaume de Dieu et sa justice, c’est-à-dire une vie bonne et sainte. Votre Père, (280) qui est dans l’éternité, ne connaît-il pas les petites choses dont vous pouvez manquer? ne les ai-je pas faites pour vous, et n’ai-je pas dit à la terre de vous donner ses fruits? Le malheureux qui par sa défiance rétrécit le cœur et la main qu’il devait ouvrir à son prochain, n’a pas lu cette loi de ma Vérité, puisqu’il n’en Suit pas les traces ; et c’est pour cela qu’il se rend insupportable à lui-même, Tout son mal vient de ce qu’il espère en lui, au lieu d’espérer en moi.
7.- Il se fait juge de la volonté des hommes, sans songer que ce droit m’appartient. Il ne tient aucun compte de ma volonté, et ne trouve bien que ce qui est heureux et agréable selon le monde. Si ce bonheur lui manque, il lui semble ne rien éprouver, ne rien recevoir de ma providence et de ma bonté. Il croit être privé de tout bien, parce qu’il a placé tonte son affection dans les joies du monde et dans son propre plaisir. L’amour de lui-même l’aveugle au point qu’il ignore ce que sont les richesses intérieures et les fruits d’une véritable pénitence. Il aspire ainsi la mort, et goûte dès cette vie les arrhes de l’enfer.
8.- Malgré cela, ma bonté ne cesse de veiller sur lui, car j’ai commandé à la terre de donner ses fruits au juste et au pécheur. Je leur accorde également la pluie et le soleil ( S. Matth., V. 45). Souvent même le pécheur en jouira plus que le juste. Ma bonté agit ainsi pour donner en plus grande abondance les richesses invisibles à l’âme du juste, qui par amour pour moi s’est dépouillé de tous les biens temporels, en renonçant au monde, aux plaisirs et à sa propre volonté. Ceux-là enrichissent leur âme et dilatent leur coeur dans l’abîme de ma charité. Ils perdent tout soin d’eux-mêmes ; ils ne se tourmentent plus des choses du monde ; et renoncent à tout ce qui les regarde ; alors je me charge de leur âme et de leur corps, et j’ai pour eux une providence particulière. L’Esprit Saint devient pour ainsi dire leur serviteur.
9.- N’as-tu pas lu dans la vie des saints Pères l’histoire de ce grand solitaire qui avait renoncé à tout pour l’amour de moi? Lorsqu’il tomba malade, je lui envoyai un ange pour le servir et l’assister dans ses besoins rien ne manquait à son corps, et son âme trouvait une (281) joie ineffable dans la conversation de l’envoyé céleste.
10.- L’Esprit Saint, comme une mère tendre, nourrit ces hommes sur le sein de sa divine charité ; il les rend libres et souverains en les délivrant des chaînes de l’amour-propre. Car, là où se trouve le feu de mon infinie charité, on ne trouve jamais l’eau de l’amour-propre, qui éteint sa douce flamme dans les âmes. Oui, l’Esprit Saint est un bon serviteur, que ma bonté leur a donné ; il revêt l’âme, il l’enivre, l’inonde de douceur et la comble de richesses.
11.- Celui qui a tout abandonné pour moi retrouve tout en moi. Je revêts avec magnificence sa nudité volontaire, et l’humilité qui le fait servir est la cause de sa puissance. Sa vertu l’élève au dessus du monde et des sens, parce qu’il a renoncé à voir par lui-même. Il jouit d’une lumière parfaite, parce qu’il n’espère pas en lui
une ferme espérance, une foi vive l’attachent à moi, et il goûte ainsi la vie éternelle, sans ressentir dans son esprit aucune amertume, aucune douleur. Il juge tout en bien, parce qu’il trouve en tout ma volonté, et qu’il comprend à la lumière de la foi que je cherche en tout sa sanctification. Aussi rien n’altère sa patience.

12.- Oh ! que cette âme est heureuse, puisque dans un corps mortel elle goûte un bien éternel ! Elle reçoit et voit tout avec respect. La main gauche ne lui pèse pas plus que la main droite ; elle aime autant la tribulation que la consolation, la faim et la soif que la nourriture et le rafraîchissement, le froid que la chaleur, la nudité qu’un vêtement, la vie que la mort, la gloire que les affronts. En toutes choses elle est calme et inébranlable, parce qu’elle est affermie sur la pierre vivante, et qu’elle voit à la sainte lumière de la foi et avec une forte espérance que je fais tout par amour, dans l’unique but de votre salut :
13. C’est dans les grandes épreuves que je montre la grandeur de ma puissance. Je ne donne les fardeaux pesants qu’à ceux qui peuvent les porter, en les acceptant par amour pour moi. Le sang de mon Fils vous a prouvé que je ne veux pas la mort du pécheur, mais plutôt qu’il se convertisse et qu’il vive ; n’est pour cela que je lui donne tout ce qu’il reçoit. Ceci est évident pour l’âme qui se dépouille d’elle-même, qui se réjouit de tout ça qu’elle voit en elle ou dans les autres. Comment craindrait-
elle (282) que ces petites choses lui manquent, lorsque dans les grandes et les difficiles, la foi lui montre toujours ma providence? Oh qu’elle est belle la lumière de la très sainte foi, avec laquelle on voit et on comprend ma vérité, la lumière qui vient par les bons soins du Saint Esprit, la, lumière surnaturelle que l’âme acquiert par ma grâce, en usant bien de la lumière naturelle que je lui ai d’abord donnée !


CXLII.- Providence de Dieu dans le sacrement de l’Eucharistie.




1.- Ne sais-tu pas, ma fille bien-aimée, comment ma providence agit envers mes serviteurs et les âmes qui espèrent en moi? Elle agit de deux manières, pour l’âme. et pour le corps ; et ce que je fais pour le corps est utile à l’âme, afin que la lumière de la foi croisse et augmente en elle, afin qu’elle espère en moi et qu’elle connaisse clairement que je suis le seul qui ai l’être, le pouvoir, la volonté et l’intelligence, pour subvenir à ses besoins et à son salut.
2.- C’est pour la vie de l’âme que j’ai institué les sacrements de la sainte Église, qui sont sa nourriture ; car le pain est mon aliment grossier qui convient au corps ; mais l’âme incorporelle vit de ma parole. Ma Vérité a dit dans l’Evangile : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (S. Matth., IV, 4). C’est-à-dire, en suivant de coeur la doctrine de mon Verbe incarné pour vous. C’est par le Verbe et par la vertu du précieux Sang que les sacrements vous donnent la vie. Ces moyens spirituels sont pour l’âme, quoiqu’ils lui arrivent par l’intermédiaire du corps. Mais l’acte extérieur et corporel ne donne la vie de la grâce qu’autant que l’âme l’accepte par une disposition intérieure, par un saint et ardent désir, dont elle est seule capable. C’est pour cela que je t’ai dit que les sacrements étaient les biens spirituels de l’âme, parce qu’il faut son désir pour les recevoir, quoiqu’ils lui soient administrés par l’intermédiaire du corps.
3.- Quelque fois, pour augmenter cette faim, ce désir (283) de l’âme, je fais en sorte qu’elle souhaite ces biens sans pouvoir les obtenir. Cette privation augmente son ardeur, et, dans son indigence, elle se connaît mieux elle-même. Elle se trouve indigne de ces biens et alors je l’en rends digne en lui prodiguant les trésors de ma bonté dans mon Sacrement. Tu le sais bien toi-même par expérience ; car par mon ordre la grâce du Saint Esprit, qui règle tout, porte le ministre de l’Autel à préparer cette nourriture, et le force intérieurement à en rassasier l’âme. Quelquefois je diffère jusqu’au dernier instant l’accomplissement de son désir, et je le satisfais à l’instant où elle doit perdre toute espérance.
4.- Remarque que je pourrais accorder sur-le-champ ce que je fais tant attendre ; mais j’agis de cette manière pour augmenter la lumière de la foi dans l’âme et l’habituer à ne jamais se laisser d’espérer en moi. Elle devient ainsi fidèle et prudente ; elle ne regarde pas en arrière avec méfiance, et ne laisse pas éteindre l’ardeur de son désir. Souviens-toi que j’ai ainsi éprouvé une âme qui m’aime (Les exemples que Dieu cité sont des faits arrivés à sainte Catherine elle-même.).
5.- Cette âme était venue à l’église avec un grand désir de la sainte Communion. Elle demanda humblement au ministre de l’Autel le corps de l’Homme-Dieu parfait ; elle fut refusée : mais son coeur grandit au milieu de ses pieux gémissements, et le prêtre ressentit dans sa conscience un tel remords, que quand il voulut offrir le Calice, il fut forcé par le Saint Esprit de lui faire dire que, si elle voulait recevoir le corps de Jésus-Christ, il le lui donnerait avec empressement. Ma bonté véulut ainsi rassasier le désir de cette âme ; l’étincelle d’amour et de foi qu’elle ressentit d’abord devint un tel incendie, qu’il lui semblait que la vie allait abandonner son corps. Je n’avais permis ce refus que pour affermir son espérance et détruire en elle tout amour-propre. Je me suis servi de la créature dans cette occasion ; mais dans beaucoup d’autres le Saint Esprit veut bien agir sans intermédiaire. Je t’en donnerai deux exemples qui doivent fortifier ta foi et te faire admirer ma providence. (284)

6.- Tu sais que le jour de la conversion de mon apôtre Paul, il y avait dans une église une âme qui était dévorée du désir de recevoir la sainte Communion. Presque tous les prêtres qui devaient célébrer la messe lui dirent qu’elle ne pourrait pas communier. Je permis ces refus pour lui montrer que si les hommes lai faisaient défaut, elle ne serait pas abandonnée par le Créateur. J’attendis la dernière messe, et j’employai ce doux stratagème pour la mieux enivrer de ma providence. Voici comment je la trompai : elle avait dit à celui qui allait servir la messe qu’elle voulait communier ; mais celui-ci n’avertit pas le prêtre. N’ayant pas reçu de réponse contraire, elle attendait avec ardeur la sainte Communion ; quand la messe fut terminée et qu’elle se vit frustrée de son espérance, elle sentit s’augmenter son désir et sa faim de la nourriture des anges ; mais son humilité profonde lui persuadait qu’elle en était indigne, et elle se reprochait d’avoir osé demander un si grand Sacrement.
7.- Alors moi qui me plais à élever les humbles, je l’attirai vers moi, en lui faisant connaître l’abîme de l’éternelle Trinité. Je montrai à l’oeil de son intelligence la puissance du Père, la sagesse du Fils, la douceur du Saint Esprit, qui ne font qu’un par essence. Et cette âme tut ravie à un tel degré d’union, que son corps était élevé de terre ; car, comme je te l’ai dit, dans cette union, l’âme est plus unie à moi par l’amour qu’elle ne l’est, naturellement au corps. Alors, pour satisfaire enfin son désir, je lui donnai moi-même la sainte Communion ; et comme preuve de cette grâce, pendant plusieurs jours elle ressentit d’une manière ineffable le goût et l’odeur du corps et du sang de mon Fils unique, Jésus crucifié. Elle fut toute renouvelée et fortifiée par la lumière de ma providence, qu’elle avait, dans cette occasion, si délicieusement éprouvée. Le monde ignora cette grâce ; mais elle la comprit d’une manière claire et sensible.
8.- Le second fait que je veux te citer eut pour témoin le prêtre qui célébrait à l’Autel. Cette âme avait ardemment désiré entendre la messe et y communier ; mais la maladie la retarda, et elle ne put arriver qu’au moment de la Consécration. La messe se disait près du grand autel, au chevet de l’église ; elle se mit en prière à l’autre (285) extrémité, parce qu’on le lui avait ordonné ; et elle disait au milieu de ses larmes et de ses pieux gémissements : Ame infortunée, ne vois-tu pas la grâce que Dieu a bien voulu te faire, en te permettant d’entrer dans son église sainte, et d’apercevoir le ministre qui consacre à l’Autel? Ne mériterais-tu .pas plutôt par tes fautes d’être en enfer? Mais en s’abaissant ainsi dans les profondeurs de son humilité, son désir au lieu de diminuer, augmentait toujours, parce qu’elle croyait fermement à ma bonté, et qu’elle espérait de l’Esprit Saint la consolation qu’elle attendait.
9.- Je la lui accordai d’une manière qu’elle ne pouvait prévoir et demander ; car, au moment où, selon les rites de l’Église, le prêtre divise l’Hostie, une fraction de cette hostie s’éloigna de l’autel par un acte de ma puissance, et alla à l’autre extrémité de l’Église vers la personne qui priait et qui put ainsi communier. Elle pensa d’abord que j’avais satisfait l’ardeur de son désir d’une manière invisible, comme je l’avais déjà fait plusieurs fois ; mais le prêtre savait le contraire, car il fut profondément affligé de ne pas trouver cette fraction de l’Hostie, jusqu’à ce que le Saint Esprit lui eût révélé ce qu’elle était devenue ; son inquiétude ne fut calmée que par l’assurance de la personne qui l’avait reçue.
10.- Ne pouvais-je pas facilement détruire l’obstacle de la maladie et permettre à cette personne d’arriver à temps pour entendre la messe et communier comme à. l’ordinaire? Je le pouvais certainement ; mais je voulus prouver par expérience à cette âme qu’avec ou sans l’intermédiaire des créatures, en quelque lieu et de quelque manière qu’il me plaise, je puis, je veux et je sais satisfaire admirablement, et plus qu’elle ne saurait l’imaginer, les saintes ardeurs de son désir. Que ce que je viens de dire sur ce sujet, ma fille bien-aimée, te suffise pour te faire connaître ma providence. Je vais maintenant t’expliquer les moyens que j’emploie au dedans de l’âme sans l’intermédiaire du corps ou des agents extérieurs. Je t’en ai déjà dit quelque chose eu t’entretenant des états de l’âme.



CXLIII.- Providence de Dieu à l’égard de ceux qui sont en péché mortel.




1.- L’âme est en état de péché mortel ou en état de grâce ; et en état de grâce, elle est parfaite ou imparfaite. Dans tous ces états, ma providence agit avec sagesse et diversement, selon ce que je vois être le plus utile. Quant aux hommes du monde qui dorment dans l’obscurité du péché mortel, je réveille leur conscience par la douleur de l’aiguillon qu’ils ressentent au fond de leur coeur, et par des moyens si variés que la parole humaine ne saurait les dire ; les remords et les peines intérieures qu ils éprouvent les éloignent bien souvent du maI.
2.- Quelquefois aussi je cueille les roses sur les épines. Lorsque je vois l’homme qui penche vers le péché mortel et vers l’amour désordonné de la créature, ma bonté lui ôte l’occasion et le temps de céder à sa volonté mauvaise ; et alors la tristesse qu’il en éprouve trouble son âme, réveille le cri de sa conscience et le guérit de la folie où il était tombé ; car ne peut-on pas appeler une folie cette affection pour une chose dont on reconnaît ensuite le néant? La créature qu’il aimait d’un amour corrompu est bien quelque chose ; mais l’usage qu’il voulait en faire n’était rien, parce que le péché n’est que la privation de la grâce, comme l’aveuglement est la privation de la vue.
3.- Ainsi, de la faute même qu’on peut bien appeler une épine, puisqu’elle déchire cruellement, je tire une rose en y trouvant un moyen de salut. Qui me fait agir de la sorte? Ce n’est pas le pécheur, qui ne me cherche pas et qui me demande le secours de ma providence que pour pécher, ou jouir des richesses, des plaisirs et des honneurs du monde ; c’est mon amour, ma tendresse paternelle qui me poussent ; car je vous ai aimés avant votre naissance, et je, désire être aimé de vous.
4.- Je suis aussi excité et forcé par les prières de mes serviteurs et de mes amis, qui, par la grâce du Saint Esprit, pour ma gloire et pour le salut du prochain, demandent (287) avec ardeur leur conversion, s’efforçant d’apaiser ma colère et de lier les mains de ma justice sous les coups de laquelle le pécheur devrait tomber. Leurs larmes et leurs humbles supplications me retiennent et me font pour ainsi dire violence Qui les pousse à crier ainsi vers moi? C’est ma providence, qui veille aux besoins de ceux que tue le péché ; car il est écrit : « Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (Ézéchiel XXXIII, 11).
5.- O ma fille bien-aimée, passionne-toi pour ma providence ; ouvre les yeux de ton esprit et de ton corps, tu verras les hommes coupables auxquels la lèpre du péché communique la corruption de la mort. Ils sont plongés dans les ténèbres, parce qu’ils sont privés de la lumière de la grâce ; ils marchent en chantant et en riant ; ils perdent le temps que ma bonté leur accorde, dans la vanité, les plaisirs et les honteuses jouissances ; ils se gorgent de vin et d’aliments avec une telle avidité, qu’ils semblent avoir fait un dieu de leur ventre. Ils vivent dans ces haines, ces vengeances, cet orgueil et ces vices que je t’ai déjà fait connaître ; ils ignorent leur état et courent vers la mort éternelle qui les attend s’ils ne se convertissent ; les infortunés se réjouissent au milieu d’un si grand péril!
6.- Ne devrait-on pas croire bien insensés des condamnés à mort qui iraient au supplice en chantant, en dansant et en donnant les signes d’une folle joie? Ne sont-ils pas aussi insensés, ces malheureux, et ne le sont-ils même pas davantage, puisque la mort de l’âme est bien plus à craindre que la mort du corps? Ils perdent la vie de la grâce et courent à une peine infinie, s’ils meurent dans cet, état ; tandis que les autres ne perdent que la vie du corps et n’endurent qu’une peine finie et passagère. Et cependant ils chantent, dans leur délire, comme des insensés et des fous.
7.- Mes serviteurs, au contraire, sont dans les gémissements et la douleur ; ils persévèrent dans les veilles, dans la prière, dans les larmes et les jeûnes, afin d’obtenir leur salut. Les hommes les tournent en dérision, mais leurs insultes retombent sur leur tête ; la punition suit nécessairement la faute, tandis que toutes les peines que les justes souffrent pour mon amour auront leurs joies et leur récompenses (288). Ne suis-je pas un Dieu juste, qui rendra à chacun selon ses oeuvres.
8. Mes vrais serviteurs, malgré ces injures, cette ingratitude et ces persécutions, ne cessent pas de prier ; ils crient, au contraire, vers moi, avec plus de force, et redoublent de charité. Qui les pousse à frapper avec tant d’ardeur à la porte de la miséricorde ? C’est mon ineffable providence, parce qu’ainsi je procure le salut de ces malheureux, et j’augmente en même temps la vertu et les fruits de la charité dans le coeur de mes amis. Je multiplie ainsi et je varie sans cesse les moyens que ma providence emploie pour retirer les âmes des ténèbres du péché mortel. Maintenant je te dirai ce que fait ma providence pour ceux qui se sont retirés du mal, mais qui sont encore imparfaits ; sans cependant répéter ce que j’ai dit des états de l’âme, je t’expliquerai ce sujet rapidement.


CXLIV.- Providence de Dieu envers les imparfaits pour les conduire à la perfection.




1.- Sais-tu, ma fille bien-aimée, quelle conduite je tiens à l’égard des imparfaits pour les mener à la perfection et les faire avancer dans la vertu? Quelquefois je les éprouve par la confusion de leurs pensées ou par la stérilité de leur esprit. Il semble à l’âme que je l’ai abandonnée et qu’il n’y a plus en elle aucune affection ; elle ne peut se reposer dans le monde, parce qu’elle ne lui appartient pas, et il lui paraît qu’elle m’est étrangère, parce qu’elle n’éprouve aucun bon sentiment ; sa volonté seulement l’empêche de m’offenser. Et comme dans l’homme la volonté est la porte principale qui garde l’âme, je lui ai fait présent d’une liberté forte et indépendante. Je ne laisse jamais les démons et les autres ennemis de l’homme ouvrir et forcer cette porte, à moins que le libre-arbitre n’y consente ; mais je leur permets souvent d’attaquer et de briser les autres portes de l’âme.
2.- La cité de l’âme a plusieurs portes ; elle en a trois principales : la première est la volonté, qui est inexpugnable et garde toutes les autres ; la force, que je lui ai donnée, est le libre arbitre, qui peut ouvrir et fermer à qui lui (289) plaît et quand il veut. Les autres portes sont la mémoire et l’entendement ; si la volonté cède et ouvre, aussitôt entre l’ennemi, qui est l’amour-propre, avec les autres ennemis qui l’accompagnent. L’entendement reçoit les ténèbres qui combattent la véritable lumière ; la mémoire retient la haine, qui naît du souvenir de l’injure et qui détruit la charité du prochain. Elle se rappelle les plaisirs et les jouissances de la vie du monde, aussi variés que les péchés opposés aux vertus.
3.- Dès que ces trois portes ont cédé, toutes les petites portes des sens sont ouvertes ; les sens extérieurs sont des instruments, des organes qui correspondent à l’âme. Ces portes prises correspondent à ces organes ; et alors l’harmonie est détruite, le mal souille tous les rapports et tous les actes qui en viennent. L’oeil dorme et propage la mort, parce qu’il considère une chose morte avec un regard coupable et dissolu ; et ce regard entraîne la légèreté, la vanité du coeur et un extérieur déshonnête, qui lui cause la mort et la donne aux autres. Malheureux, tu profanes ce que je t’ai donné dans ma bonté ; tu devais regarder le ciel et tout ce qui est beau dans mes créatures, pour me glorifier et admirer les mystères de ma providence ; et, en n’y voyant que matière et corruption, tu n’arrives qu’à la mort.
4.- L’oreille aussi se délecte de choses déshonnêtes et de propos sur le prochain, qu’elle juge sans examen comme sans justice, et je l’ai donnée à l’homme pour qu’il écoute ma parole et serve son semblable. Je lui ai donné la langue pour confesser ses fautes, annoncer ma vérité et travailler au salut des âmes ; il en abuse pour blasphémer son Créateur et perdre son prochain, qu’il déchire par ses mensonges. Il blâme le bien et loue le mal qu’il voit faire ; il rend de faux témoignages, il corrompt son âme et celle des autres par des paroles lascives. Ses lèvres profèrent des injures, qui blessent le coeur comme un glaive aigu, et qui provoquent la haine et la colère. Oh! combien la langue produit d’homicides, d’impuretés, de colères, de querelles, de haines, de maux de toute espèce!
5.- L’odorat commet l’offense en abusant du plaisir qu’il trouve dans ses sensations ; le goût, avec son avidité insatiable et ses appétits désordonnés, demande (290) sans cessé des mets, et ne semble occupé qu’à remplir le corps ; et cette âme malheureuse ne s’aperçoit pas que ces excès allument dans sa chair fragile une chaleur pernicieuse qui engendre presque toujours la corruption.
6.- Les mains se perdent aussi en ravissant le bien d’autrui et en faisant des actes honteux et déshonnêtes, tandis qu’elles sont données à l’homme pour servir son semblable, surtout quand il est malade, et pour lui distribuer l’aumône dont il a besoin. Les pieds lui sont accordés seulement pour aller où l’appelle son utilité, celle du prochain et la gloire de mon nom ; il s’en sert souvent pour aller à des rendez-vous coupables, pour courir aux conversations légères et défendues, qui corrompent son âme et celles des autres au gré de ses mauvais désirs.
7.- Je te dis tout cela, ma fille bien-aimée, pour que tu redoubles tes pieux gémissements à la vue de cette noble cité de l’âme si cruellement désolée. Tu vois bien que toutes ces iniquités entrent par la porte principale de la volonté, que nul ennemi de l’homme ne peut ouvrir par la violence
Mais je permets que les portes soient attaquées et forcées par l’ennemi ; quelquefois je permets que d’épais nuages tourmentent et obscurcissent l’entendement ; quelquefois c’est la mémoire qui ne peut plus se souvenir de moi. D’autres fois il semble qu’il y a des révoltes dans les sens de votre corps, même en voyant, en touchant, en entendant et en sentant les choses saintes ; quand vous vous en approchez, on dirait que tout apporte à vos sens un trouble honteux et corrupteur. Mais ces choses ne donnent pas la mort à l’homme ; je l’en préserve, à moins qu’il n’ouvre follement la porte de sa volonté.
8.- Je permets que les ennemis frappent au dehors, mais non pas qu’ils entrent malgré lui ; ils ne le peuvent que si le libre arbitre devient leur complice. Pourquoi permettre que cette âme soit tourmentée par tant d’ennemis qui l’assiègent? Ce n’est pas pour qu’elle succombe et qu’elle perde les richesses de la grâce ; c’est pour qu’elle comprenne ma providence, qu’elle espère en moi, et non pas en elle-même ; c’est pour qu’elle se réveille (291) de sa négligence, et que, pleine d’une sainte inquiétude, elle se réfugie vers moi qui suis son protecteur, son tendre père ; vers moi qui veux la sauver en lui faisant reconnaître humblement qu’elle n’est rien par elle-même, et qu’elle reçoit son être et ses grâces de moi qui suis sa vie.
9.- Dès que l’âme reconnaît cette vérité et se fie en ma providence, elle éprouve mon secours dans tous ses combats ; car chaque jour je permets qu’elle soit tourmentée de la manière qui convient le plus à son salut, Il lui semble quelquefois qu’elle est en enfer, et bientôt, sans aucun effort de sa part, elle se trouve délivrée de toute angoisse, et elle savoure dans une paix profonde comme un avant-goût du ciel. Tout en elle est calme et bien ordonné ; tout la porte à Dieu, et son coeur s’enflamme d’amour en contemplant les mystères de ma providence. Elle se sent délivrée des tempêtes de cette mer profonde, non par elle-même, puisqu’elle a vu tout-à-coup la lumière, mais par mon ineffable bonté, qui a pourvu à ses besoins au moment même où elle paraissait succomber.
10.  Pourquoi, lorsqu’elle m’adressait des prières humbles et ferventes, ne l’ai-je pas exaucée, en dissipant ses ténèbres et en lui rendant la lumière? C’est parce qu’elle était encore imparfaite, et qu’il ne fallait pas qu’elle s’attribuât ce qui ne venait certainement pas d’elle. Ainsi, tu vois comment l’imparfait, en s’exerçant aux combats, marche vers la perfection, parce que ces combats lui font éprouver ma providence, et voir par l’expérience ce qu’il croyait auparavant par la foi, Cette certitude qu’il acquiert lui inspire une charité plus parfaite, parce qu’il connaît davantage ma bonté dans ma providence, et qu’il abandonne l’imperfection de son amour.
11.- J’use aussi d’une sainte fraude pour retirer l’homme de son imperfection : je lui donne quelquefois une affection spirituelle et particulière pour une créature, afin que par ce moyen il s’exerce dans la vertu et se corrige de ses défauts. Son coeur se dépouille de l’amour sensible qu’il portait aux autres créatures, à ses parents, à ses frères, à ses soeurs, et il ne les aime que dans le Seigneur, sans aucun mouvement charnel. Cette affection pure, que je lui ai donnée, détruit l’affection déréglée qu’il avait pour les autres créatures, et le fait sortir de son imperfection.
12.- Mais, remarque-le bien, cet amour spirituel ne doit avoir d’autre résultat que d’éprouver si l’amour de l’âme pour moi et pour cette créature est parfait. C’est un moyen que je lui ai donné de le reconnaître. L’âme reconnaîtra que son amour est imparfait, si elle voit qu’elle s’aime elle-même et qu’elle n’aime pas uniquement ce qui lui vient de moi.
13.- L’âme qui est encore imparfaite m’aime d’un amour imparfait, et, par conséquent, elle aime aussi d’un amour imparfait son prochain, parce que la charité parfaite envers le prochain ne peut avoir d’autre source que la charité parfaite envers moi ; c’est avec la même mesure qu’on m’aime et qu’on aime le prochain.
14.- Comment cette âme sera-t-elle éclairée par le moyen de la créature? De beaucoup de manières, comme je te l’ai déjà montré. Voici une autre manière que je vais t’expliquer. Quelquefois cette créature qui est l’objet de son affection particulière, la prive de sa présence, et lui retire la douceur de ses entretiens, où elle goûtait tant de consolations ; ou bien il semble que cette personne aimée lui en préfère une autre : et alors la peine qu’elle en ressent la porte à se connaître elle-même. Si elle veut marcher avec prudence et dans la lumière, elle devra aimer cette créature d’un amour plus parfait, parce que la connaissance de soi-même et la haine de son sens propre combattent l’imperfection et font tendre à la vertu. Celui qui est plus parfait aime plus parfaitement toutes les créatures, en général et en particulier. Ma bonté a Voulu que l’homme fût ainsi fortifié par la haine de lui-nième et par l’amour des vertus pendant la vie de son pèlerinage.
15.- L’âme, au milieu de cette épreuve, ne doit pas abandonner ses pieux exercices, et se laisser aller par ignorance à la tristesse du coeur et à un ennui qui bouleverse l’esprit ; ce serait s’exposer à un grand danger et trouver la mort où j’ai placé la vie. Pour éviter ce malheur, l’âme se reconnaîtra humblement indigne de la consolation qu’elle désirait. Elle verra à la lumière de la foi que la vertu qui lui faisait surtout aimer cette créature n’est pas diminuée, et elle s’efforcera d’augmenter (293) dans son coeur une sainte faim et un grand désir de souffrir toutes sortes de peines pour l’honneur et la gloire de mon nom.
16.- Elle accomplira ainsi ma volonté, en acquérant le fruit de perfection que ma grâce a fait mûrir par ces combats et par l’intermédiaire de la créature. Tout ce qui lui arrivé est disposé pour la conduire à ma lumière. Tels sont les moyens que ma providence emploie à l’égard des imparfaits. Elle en a bien d’autres, car ses ressources sont infinies.



CXLV.- Providence de Dieu envers ceux qui ont la charité parfaite.


1.- Tu sauras que ma providence veille aussi sur les parfaits, afin d’éprouver et d’augmenter e-n eux leur perfection ; car, dans cette vie présente, personne n’est si parfait qu’il ne puisse l’être davantage. Voici un des moyens que j’emploie envers eux. Ma Vérité a dit dans l’Évangile : « Je suis la Vigne véritable, et mon Père est le vigneron »(S. Jean, XV, 1). Vous, vous êtes les rameaux. Celui qui reste en celui qui est la Vigne véritable, parce que c’est moi le Père qui l’ai engendré, celui-là porte beaucoup de fruit en suivant ses traces et sa doctrine ; et afin que le fruit augmente tous les jours, je vous émonde par les tribulations, les injures, les moqueries, les humiliations, les contradictions de faits et de paroles, par la faim et la soif, selon qu’il plait à ma bonté, et dans la mesure qui convient à chacun.
2.- La tribulation est le signe qui prouve que la charité est parfaite dans une âme qui sait souffrir avec une douce patience. Les tribulations et les injures que je permets exercent la patience de mes serviteurs. Le feu d’une tendre charité augmente dans leur âme par la compassion qu’ils ressentent pour ceux qui les insultent ; car ils souffrent plus du tort que les autres se font et de l’offense qu’ils commettent envers moi, que de l’injure qu’ils reçoivent. C’est ainsi qu’agissent ceux qui sont arrivés à une grande perfection. Leur vertu se nourrit de tout ce que je permets comme de tout ce que je leur accorde ; je leur donne une faim du salut des âmes qui les fait frapper jour et nuit à (294) la porte de ma miséricorde, tellement qu’ils s’oublient eux-mêmes, comme je te l’ai dit en te parlant de l’état des parfaits.
3.- Plus ils s’abandonnent ainsi, plus ils se retrouvent avec avantage en moi. Où me cherchent-ils? Dans la vérité, en suivant avec perfection la voie que leur a tracée mon Verbe incarné. Ils ont lu son Livre doux et glorieux ; ils y ont vu qu’en voulant m’obéir, pour montrer combien il aimait mon honneur et combien il désirait le salut du genre humain, mon Fils a couru, au milieu des peines et des opprobres, à la table de la très sainte Croix, où il a pris la nourriture amère du genre humain, Il m’a montré, par les douleurs de son humanité, à quel point il chérissait ma gloire.
4.- Ainsi font mes enfants bien-aimés qui sont parvenus à la perfection ; ils montrent la vérité de leur amour en persévérant humblement dans les veilles et la prière ; ils s’appliquent à imiter les salutaires exemples de mon Verbe incarné, en souffrant avec joie pour le salut du prochain. Ils n’ont pu trouver un meilleur moyen de me prouver qu’ils m’aiment, et, s’ils en avaient trouvé un autre, il eût toujours eu pour instrument la créature raisonnable ; car je te l’ai dit, toute bonne oeuvre s’accomplit par l’intermédiaire du prochain.
5.- Nul bien ne peut se faire sans la charité de Dieu et du prochain ; sans elle les bonnes actions mêmes ne sont pas méritoires, et on ne commet le mal qu’en manquant de cette charité. C’est par les créatures que l’âme montre sa perfection et l’amour qu’elle a pour moi, en travaillant chaque jour, avec ardeur et patience, au salut du prochain. J’éprouve mes serviteurs par la tribulation pendant cette vie, afin qu’ils portent des fruits plus abondants et plus délicieux devant moi, et je me réjouis des parfums de leur patience et de leur vertu.
6.- Oh! combien ces fruits sont agréables et doux! quelle consolation et quel avantage en retire l’âme qui souffre sans m’offenser! Si on le savait, si on le comprenait, avec quelle joie et quelle ardeur on demanderait des épreuves à souffrir! C’est pour lui procurer ce trésor si peu connu que ma providence paternelle afflige l’âme par tant de tribulations qui empêchent sa patience de se (295) rouiller et de rester oisive. Quand vient le temps de l’épreuve, elle est toujours prête, tandis que, si elle se repose, sa patience contracte souvent une rouille qui la ronge.
7.- J’use aussi quelquefois avec les parfaits d’un utile et doux stratagème, afin de les conserver dans la vertu ils l’humilité : j’endors tellement leur sensibilité, qu’ils ne sentent aucun combat dans leur volonté et dans leurs sens, comme des personnes endormies ; je ne dis pas comme des personnes mortes, parce que dans une âme parfaite la sensualité sommeille, mais n’est pas morte. Dès que la piété se ralentit et que le feu des saints désirs s’éteint, la sensualité s’y réveille avec violence et y soulève de plus grandes tempêtes. Que personne ne se rassure, quelque parfait qu’il soit : il faut toujours se maintenir dans une sainte crainte : car ceux qui se confient en eux-mêmes tombent misérablement.
8.- Je dis que leurs sens paraissent dormir, parce qu’ayant à supporter beaucoup de peines et de travaux, ils ne semblent pas en souffrir ; mais tout à coup, s’il leur arrive une chose légère qui n’est rien et dont ils riront ensuite, ils en ressentent une douleur profonde ; l’âme en sera surprise et consternée. Ma divine providence le permet ainsi pour faire avancer l’âme dans la vertu par la voie de l’humilité. Car l’âme avertie se met en garde contre elle-même ; elle se reproche avec une sainte haine cette sensibilité ; elle la châtie avec une rigueur salutaire, et cette rigueur l’endort bientôt plus parfaitement.
9.- Quelquefois je protège mes amis et mes plus fidèles serviteurs en leur laissant cet aiguillon que ressentait le glorieux apôtre Paul. Après avoir donné à ce vase d’élection la doctrine de ma Vérité dans l’abîme de l’éternelle Trinité, je lui laissai l’aiguillon de la chair. Certainement, je puis pour mes amis, comme je le pouvais pour Paul éteindre ces mouvements que je leur laisse ; mais ma providence les leur conserve pour augmenter leur vertu, pour enrichir leur couronne et les conserver dans une véritable connaissance d’eux-mêmes. Ils y trouvent une humilité précieuse, et y puisent une tendresse plus grande pour le prochain. Ils deviennent plus doux, et compatissent avec plus de zèle aux tentations et aux souffrances des autres, parce qu’ils les éprouvent eux-mêmes. Leur charité (296) s’augmente, et ils courent vers moi tout parfumés d’humilité, tout embrasés de mon amour. C’est par ces moyens et par bien d’autres que je les conduis à l’union parfaite.
10.- Ils arrivent à une telle union et à une telle connaissance de ma bonté, que dès ici-bas ils goûtent les biens du ciel, et ne sentent plus les chaînes de leur corps. A mesure qu’ils me connaissent, ils m’aiment davantage, et celui qui aime beaucoup souffre nécessairement beaucoup, là où croit l’amour, augmente aussi la douleur. Mais quelle douleur peut tourmenter l’âme des parfaits?
Ce ne sont pas les injures qu’on leur adresse, les souffrances de leur corps, les persécutions de leurs ennemis et les tribulations qu’ils peuvent rencontrer ; ils ne souffrent et ne s’affligent que des offenses qui me sont faites parce qu’ils savent et voient clairement combien je suis digne d’être aimé et d’être servi.
11.- Ils pleurent la perte de ces âmes qui marchent dans les ténèbres de la vie présente et qui sont plongées dans un si grand aveuglement. L’amour qui les unit à moi leur fait comprendre combien j’aime ma créature ; et comme ils voient en elle mon image, ils se passionnent pour elle par amour pour moi. De là vient l’immense douleur qu’ils ressentent en la voyant s’éloigner de ma bonté cette peine est si grande, que toutes les autres peines qu’ils éprouvent ne semblent plus rien. Ils n’en tiennent aucun compte et ne. paraissent pas les sentir.
12.- Ma bonté assiste encore mes serviteurs par la connaissance que je leur donne de moi-même. Ils voient en moi, avec une grande amertume, les chagrins et les misères de la vie présente, la damnation des âmes en général et en particulier. J’augmente ainsi leur amour et leur peine, afin que, pressés par le feu des saints désirs, ils crient vers moi avec la ferme espérance et la sainte lumière de la foi pour obtenir le secours nécessaire à tant d’infortunés. Ma divine providence secourt le monde, parce que je me laisse faire violence par les doux et laborieux désirs de mes amis, et ils en profitent eux-mêmes, parce qu’ils arrivent ainsi à une connaissance plus profonde et à une union plus parfaite avec moi.
13.- Tu vois donc que j’assiste les parfaits par un grand nombre de moyens et qu’ils peuvent pendant cette (297) vie augmenter le degré de leur perfection et de leur mérite. C’est pour cela que je les purifie de toute affection propre et déréglée, dans l’ordre spirituel ou temporel. Je les éprouve chaque jour par un grand nombre de tribulations, afin qu’ils portent, en ma présence, des fruits plus abondants et plus parfaits. En voyant les offenses que je reçois, et combien d’âmes sont privées de ma grâce, ils ressentent une peine profonde, qui détruit en eux tout amour nuisible et leur fait supporter et mépriser tous les maux qu’ils rencontrent. Ils estiment autant les épreuves que les consolations, parce qu’ils ne recherchent jamais leur propre satisfaction et qu’ils ne m’aiment pas d’un amour mercenaire pour le bonheur qu’ils y goûtent, mais seulement pour l’honneur et la gloire de mon nom.
14.- Ainsi, ma fille bien-aimée, tu peux voir clairement que les hommes, dans toutes les positions, de toute manière et en tout lieu, ressentent les bienfaits de ma tendre et paternelle sollicitude. Les hommes qui sont dans les ténèbres les méconnaissent, parce que la lumière n’est pas comprise par les ténèbres ; mais ceux qui ont la lumière les comprennent plus ou moins, selon le degré de leur perfection. La lumière s’acquiert par la connaissance véritable que l’âme a d’elle-même, et de cette connaissance vient la sainte haine des ténèbres.


CXLVI.- Résumé de ce qui précède.- Explication des paroles de Jésus-Christ à saint Pierre : « Jetez vos filets à droite ». (Saint Jean, XXI, 6.)




1.- Ma fille bien-aimée, ce que je t’ai dit de ma providence générale et particulière envers mes créatures, est à la réalité ce qu’est la vapeur d’une goutte d’eau comparée à l’immensité de l’Océan. Je t’ai aussi montré, en te parlant du sacrement Eucharistique, tous les moyens que je prends pour augmenter la sainte faim de l’âme. J’agis d’abord à l’intérieur en lui donnant la grâce par l’intermédiaire de l’Esprit Saint, qui assiste fidèlement l’homme coupable pour le ramener au bien, l’homme imparfait pour le conduire à la perfection, et l’homme parfait pour le rendre plus parfait encore ; car pendant (298) cette vie, vous pouvez vous perfectionner chaque jour. Les parfaits doivent devenir des médiateurs entre moi et les hommes tombés dans l’abîme du péché ; car, je te l’ai déjà dit, c’est à la médiation de mes amis que j’accorderai miséricorde au monde, et c’est à cause de leurs souffrances que je réformerai l’Eglise.
2.- On peut bien les appeler d’autres Jésus-Christs crucifiés, puisqu’ils en accomplissent l’oeuvre. Mon Fils unique est venu comme médiateur pour guérir l’homme de sa misère et le réconcilier avec moi, en souffrant avec patience jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix. Ainsi font ceux qui sont crucifiés par leurs saints désirs : ils deviennent des médiateurs par leurs humbles prières, leurs exhortations pressantes et leur vie sainte qui les rend des modèles pour tous. Ils brillent comme des pierres précieuses de vertu, en supportant avec une patience véritable les défauts des autres.
3.- Ils ont des moyens de prendre les âmes et ils jettent le filet à droite et non à gauche, comme le dit la Vérité, dans l’Évangile, à Pierre et aux autres disciples après la Résurrection. La gauche est l’amour-propre qui est vaincu et mort en eux ; la droite est l’amour divin pur et véritable avec lequel ils jettent le filet d’un saint désir, en moi, qui suis une mer tranquille. Si tu réunis la pêche qui précéda la Résurrection et celle qui la suivit, tu verras qu’en tirant à eux les filets, c’est-à-dire se renfermant dans une humble connaissance d’eux-mêmes et de leur nullité, ils trouvent et prennent une telle abondance de poissons, c’est-à-dire d’âmes, qu’ils sont obligés d’appeler des compagnons pour tirer les filets, parce qu’ils ne peuvent y suffire. Pour saisir et jeter leurs filets, ils doivent s’entretenir dans une humilité sincère en appelant le prochain à cette pèche des âmes par le mouvement d’une charité véritable.
4.- Tu dois le voir et l’éprouver en toi-même et dans mes autres amis la charge des âmes qu’ils prennent dans les filets d’un saint désir leur paraît si considérable, qu’ils appellent avec ardeur, afin de n’être pas seuls. Ils voudraient que tout le monde vînt les aider, parce que leur humilité les persuade de leur insuffisance. Ils réclament donc l’humilité et la charité du prochain pour les (299) aider à tirer ces poissons, et ils en trouvent dans leurs filets une grande abondance, quoique beaucoup leur échappent par leurs fautes, et ne veulent pas rester dans cette salutaire captivité.
5.- Les filets du saint désir pourraient assurément prendre tous les poissons, parce que l’âme affamée de non honneur ne se contente pas d’une petite part, mais voudrait tout avoir. Elle désire les bons, parce qu’ils lui aideraient à la pêche, en conservant et augmentant leur perfection ; elle désire avec amour les imparfaits, pour qu’ils deviennent parfaits, et les mauvais pour qu’il deviennent bons. Elle désire les infidèles qui sont dans les ténèbres de l’erreur, pour qu’ils parviennent à la sainte lumière du baptême ; elle désire tous les hommes, quels que soient leur âge et leur condition, parce qu’elle les voit en moi, créés par ma bonté et rachetés par le feu de l’amour et le sang précieux de Jésus-Christ mon Fils.
6.- Elle les comprend tous dans son saint désir ; mais beaucoup échappent à ses filets, en s’éloignant de la grâce ou en persévérant dans le péché mortel. Ils sont ce-, pendant toujours poursuivis par le désir et la prière continuelle de l’âme ; car l’homme a beau par le péché s’éloigner de moi et de l’amour, du respect qu’il doit avoir pour mes serviteurs, l’ardeur de la charité et de la soif de salut des âmes ne se ralentit pas en eux, et il jettent toujours leurs filets à droite.
7.- O ma fille bien-aimée ! tu vois dans l’Evangile ce que fit Pierre, mon apôtre, lorsque ma Vérité lui ordonna de jeter les filets à la mer ; il répondit : « Maître, nous avons travaillé toute la nuit et nous n’avons rien pris ; mais sur votre parole je jetterai le filet. Il le fit, et il prit une si grande quantité de poissons, qu’il ne le pouvait tirer tout seul, et qu’il appela ses compagnons pour lui aider. » (S. Luc, V. 5-7).
8.- Si tu médites ce passage, tu verras une figure sous la réalité, et cette figure te conviendra ; car tous les actes et les mystères accomplis par ma Vérité dans ce monde avec ou sans les disciples, étaient des figures pour instruire et sauver les âmes. Vous pouvez toujours y voir une règle et une doctrine en les étudiant à la lumière de la raison : les personnes ignorantes et grossières comme (300)
les intelligences supérieures pourront y puiser des exemples, et tous, pourvu qu’ils le veuillent, y trouveront leur salut et leur consolation.
9.- Je t’ai dit que Pierre, sur l’ordre de Jésus-Christ, jeta les filets dans la mer : il fut donc obéissant. Il crut fermement qu’il prendrait du poisson, et il en prit en effet une grande quantité ; mais ce ne fut pas pendant la nuit. Quelle est cette nuit? C’est la nuit obscure du péché mortel, où l’âme est privée de la lumière de la grâce. Pendant cette nuit on ne prend rien de bon, parce que le désir jette le filet, non pas dans une mer vive, mais dans, une mer morte, où il trouve le péché qui n’est que néant et les plus grandes fatigues ne sont d’aucune utilité.
10.- Ceux qui travaillent ainsi sont les martyrs du démon, au lieu d’être ceux de Jésus crucifié. Mais lorsque brille le jour où l’âme s’éloigne du mal et revient à la grâce, alors apparaissent à l’esprit les préceptes salutaires que je lui ai donnés ; et l’homme jette ses filets selon la parole de ma Vérité incarnée en m’aimant par dessus toutes choses et en aimant le prochain comme lui-même. Il obéit avec la  lumière de. la foi et avec une ferme espérance, en suivant la doctrine et les traces de mon doux Verbe et de ses disciples. Je t’ai dit ceux qu’il prend et ceux qu’il appelle.


CXLVII.- De ceux qui jettent plus parfaitement que les autres les filets dans la mer.


1.- Ainsi tu vois à la lumière de ton intelligence avec quelle providence ma Vérité incarnée, pendant tout le temps qu’elle a conversé avec les hommes, accomplissait ses actes et ses mystères. Tu dois comprendre ce qu’il faut faire et ce que fait une âme qui est arrivée à la perfection. Mais remarque que les uns agissent plus parfaitement que les autres, selon qu’ils obéissent à mon Verbe avec un coeur plus ardent, avec une lumière plus parfaite, et avec une espérance qu’ils ne placent pas en eux, mais uniquement en leur Créateur.
2.- Celui qui obéit aux préceptes et aux conseils mentalement et réellement, jette plus parfaitement ses filets que celui qui observe les préceptes réellement, et les (301) conseils mentalement car celui qui n’observe pas les conseils mentalement ne peut observer les préceptes réellement, parce qu’il sont liés ensemble, comme je l’ai expliqué. Celui qui jette les filets parfaitement prend aussi parfaitement les âmes : les parfaits dont je t’ai parlé en prennent abondamment et avec une grande perfection.
3.- Leurs moyens deviennent excellents, par cette bonne garde et cette vigilance que le libre arbitre établit à la porte de la volonté. Tous leurs sens rendent un accord doux et harmonieux, qui s’échappe de la cité de l’âme, dont toutes les portes sont à la fois ouvertes et fermées. La porte de la volonté est fermée à l’amour-propre, mais ouverte au désir de ma gloire et à l’amour du prochain. L’intelligence est fermée aux vanités, aux délices et aux misères du monde qui sont comme une nuit profonde pour celui qui les aime et en use contre l’ordre ; mais elle est ouverte à la lumière qui brille dans ma Vérité incarnée. La mémoire est fermée à tout souvenir du monde ou d’elle-même, pour tout ce qui regarde la vie matérielle ; mais elle se rappelle avec amour et reconnaissance les bienfaits dont je la comble tous les jours.
4.- Alors cette âme chante un cantique délicieux, en s’accompagnant sur un instrument dont la prudence a si bien disposé les cordes, qu’elles rendent toutes une sainte harmonie pour la gloire et l’honneur de mon nom. Cette harmonie est produite par les grandes cordes, qui sont les puissances de l’âme, et par les petites, qui sont les sens extérieurs du corps. Elles sont toutes d’accord entre elles, ainsi que je te l’ai dit en te parlant des hommes méchants, dont tous les sens rendent un son de mort, parce qu’ils sont au pouvoir de l’ennemi, tandis que les parfaits rendent un son de vie, parce qu’ils ont pour alliées les vertus véritables, qui leur font faire. des oeuvres saintes.
5.- Tout membre accomplit parfaitement la charge qui lui est confiée : l’oeil sert à voir, l’oreille à entendre, l’odorat à sentir, le palais à goûter, la langue à. s’exprimer, les mains à toucher, les pieds à marcher ; et il en résulte comme un son mélodieux qui sert au prochain, à ma gloire et aux âmes pour lesquelles se font les bonnes oeuvres. Tous les sens obéissent au moindre mouvement de l’âme, comme un (302)
instrument délicieux qui m’est agréable, et qui plaît aussi aux anges, et à tous ceux qui l’entendent dans la joie de leur coeur, parce que chacun profite du bien des autres.
6.- Les parfaits plaisent au monde lui-même, qu’il le veuille ou ne le veuille pas, car les méchants ne peuvent s’empêcher d’entendre aussi la douceur de cette harmonie : beaucoup même en sont tellement captivés, qu’ils abandonnent la mort pour retourner à la vie. Tous mes saints ont pris des ailes par cette harmonie. Le premier qui l’ait fait entendre est mon Verbe bien-aimé, lorsqu’il a revêtu votre humanité, et que l’unissant à la divinité il a joué sur la Croix cette musique ineffable qui ravit le genre humain.
Il a vaincu ainsi le démon, son adversaire, en lui ôtant le pouvoir qu’il avait eu si longtemps sur l’homme par sa faute.
7.- Vous êtes tous les disciples de ce bon Maître, vous qui rendez des sens harmonieux. C’est avec sa douce méthode que les glorieux Apôtres ont conquis tant d’âmes eu semant par tout le monde cette parole qu’ils avaient apprise de mon Fils bien-aimé. C’est à la même harmonie que les martyrs, les confesseurs, les docteurs et les vierges doivent les mêmes conquêtes. La vierge Ursule fit entendre des accords si délicieux, qu’elle séduisit à elle seule onze mille vierges et une multitude d’autres âmes.
8.- Ainsi font tous les saints d’une manière ou d’une autre. Qui agit en eux? Ma providence. C’est elle qui leur donne l’instrument, la science et les moyens de s’en servir. Tout ce que je fais, tout ce que je permets pendant leur vie est pour qu’ils perfectionnent leurs instruments, afin que les hommes en profitent et ne se privent pas de cette lumière qui leur est nécessaire, en l’obscurcissant par les ténèbres de l’amour-propre et du plaisir des sens.

CXLVIII.- Providence de Dieu envers ses créatures dans cette vie et dans l’autre.


1.- Maintenant, ma fille bien-aimée, dilate ton coeur, et que ton intelligence contemple à la lumière de la foi avec quel amour ma providence a créé l’homme, et tout préparé pour qu’il puisse jouit de mon suprême et éternel bonheur. J’ai tout disposé pour l’âme et le corps, pour les imparfaits (303) et pour les parfaits, pour les bons et pour les mauvais, temporellement et spirituellement, au ciel et sur la terre, dans la vie qui passe et dans celle qui ne finit jamais.
2.- Dans cette vie, où vous êtes étrangers et voyageurs, je vous ai liés par les liens de la charité ; car l’homme est forcément uni à son semblable. S’il veut s’en séparer en manquant de charité, il lui est uni cependant par la nécessité. Afin de vous unir par les oeuvres en même temps que par l’amour, je n’ai pas donné à chacun ce qui est nécessaire à son existence, de sorte que celui qui par le péché perd l’amour du prochain ne peut s’en séparer à cause de ses besoins. Vous êtes ainsi tous liés ensemble par des actes de charité. L’ouvrier a nécessairement recours au laboureur, et le laboureur à l’ouvrier ; l’un se sert de l’autre parce qu’il ne sait pas faire ce qu’il fait. De même le religieux a besoin du séculier, et le séculier du religieux ; l’un ne peut agir sans l’autre : il en est ainsi du reste des hommes.
3.- Ne pouvais-je pas donner à chacun tout ce qui lui est nécessaire? Si, assurément ; mais j’ai voulu que chacun fût soumis à son semblable, afin que tous soient contraints de s’unir par un échange de bons services. J’ai montré la grandeur et la bonté de ma providence en eux, et ils préfèrent marcher dans les ténèbres de leur propre faiblesse,
4.- Les membres de votre corps doivent vous faire rougir, car ils ont en eux l’union, qui vous manque. Quand la tête a besoin de la main, la main ne lui aide-t-elle pas sur-le-champ? Si le doigt, qui est si peu considérable dans le corps, vient à souffrir quelque chose, la tête lui refuse-t-elle son secours parce qu’elle est plus noble et plus considérable? Elle ne néglige au contraire aucun moyen de lui être utile par la vue, par l’ouïe ou par la parole. Tous les membres agissent ainsi entre eux.
5.- Pourquoi l’homme orgueilleux ne fait-il pas de même lorsqu’il voit le pauvre, malade et manquant de tout? N’est-ce pas un de ses membres? Et cependant, loin de l’assister de ses biens, il ne lui fait même pas l’aumône d’une bonne parole ; il n’a pour lui que des reproches, et il s’en détourne comme d’une chose qui lui donne des nausées. Il regorge de richesses, et il laisse son semblable mourir de faim, Il ne songe pas que sa cruauté déplorable est d’une odeur infecte en ma présence, et que le fond des enfers est destiné à sa corruption.
 6.- Ma providence secourt le pauvre d’une autre manière, et ç’est au poids de sa pauvreté que lui seront comptées d’abondantes richesses. Le riche au contraire sera durement repris par ma Vérité, ainsi qu’il est annoncé dans l’Evangile ; et s’il ne se corrige, il entendra cette parole : J’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas vêtu ; j’étais infirme et en prison, et vous ne m’avez pas visité. (S. Matth. XXV, 42).
7.- Dans ce moment terrible, il lui sera inutile de dire : Je ne vous ai jamais vu, et si je vous avais vu, j’aurais tout fait pour vous bien volontiers. Ce misérable ne savait-il pas que mon Fils a déclaré dans l’Évangile que ce qui serait fait par amour pour Dieu au plus petit des hommes, il le tiendrait fait à lui-même? Ce sera donc justement qu’il partagera avec les démons un supplice éternel ; car j’ai tout disposé sur la terre pour qu’il évite ce malheur.
8.- Si tu contemples le ciel, tu verras avec quel ordre et quel amour ma providence a tout réglé parmi les anges et les bienheureux qui ont mérité havie éternelle par le sang de l’Agneau. Aucun ne jouit seul du bonheur que je lui ai donné, mais tous participent au bonheur de chacun, afin qu’unis par une charité parfaite, le plus grand jouisse du bonheur du plus petit, et le plus petit du bonheur du plus grand. Je dis le plus petit quant à la mesure de la béatitude, car le plus petit est aussi rassasié que le plus grand ; tous à des degrés différents jouissent de la plénitude du bonheur.
9.- Oh! combien la charité est forte au ciel, combien-elle unit tous les êtres en moi! Tous reconnaissent en moi la source de cette charité qu’ils ont reçue avec cette sainte crainte et ce respect que je leur ai inspirés ; ils brûlent d’ardeur en moi, et comprennent toute la grandeur que je leur ai donnée.
10.- C’est dans une joie ineffable que les anges communiquent avec les bienheureux, et les bienheureux avec les anges. Tous jouissent en commun de leur bonheur dans l’union de la charité la plus parfaite, et ils en ressentent une ivresse, une béatitude que l’esprit ne pourra jamais comprendre (305), car en moi il n’y a aucune cause de tristesse ; au ciel tout est doux, l’amertume en est bannie, parce que pendant la vie et dans la mort même, ils m’ont goûté par l’amour dans la charité véritable du prochain. Qui a ordonné ces choses? C’est ma sagesse et les soins admirables de ma providence.
11.- Si maintenant tu regardes le purgatoire, tu y trouveras aussi mon ineffable providence assistant les pauvres âmes qui, dans leur ignorance, Ont méconnu le prix du temps ; car depuis qu’elles sont séparées du corps, elles ne peuvent plus acquérir de mérite. Ma providence pet-met que vous, qui êtes encore sur terre, vous puissiez les secourir par les aumônes, les jeûnes, les prières, par toutes les bonnes oeuvres faites en état de grâce, et surtout par le Sacrifice que mes ministres offrent à l’Autel. Ma miséricorde veut bien que vous abrégiez ainsi le temps de leur pénitence. N’est-ce pas là une grande grâce de ma bonté?
12.- Je t’ai dit tout ce j’ai fait dans l’âme pour son salut, afin que tu aimes avec passion ma providence, et que tu te révèles en elle des lumières de la foi et de la fermeté de l’espérance, que tu te dépouilles de toi-même, et qu’en toute occasion tu te confies en moi sans aucune crainte servile.


CXLIX.- Providence de Dieu envers ses serviteurs pauvres, même dans les choses temporelles.


1.- Maintenant, ma fille bien-aimée, je veux te dire quelque chose des moyens que je prends à l’égard des serviteurs qui espèrent en moi, pour les assister dans leurs besoins extérieurs. Je veille sur eux avec plus ou moins de sollicitude, selon qu’ils se sont plus ou moins parfaitement dépouillés d’eux-mêmes. Ma providence cependant ne manque à aucun, mais elle protège surtout mes chers pauvres, c’est-à-dire ceux qui sont véritablement, par la volonté, pauvres d’esprit et d’intention. Car beaucoup sont pauvres contre leur volonté : ceux-là sont riches quant à la volonté, mais ils sont mendiants dans la réalité, parce qu’ils n’espèrent pas en moi et qu’ils portent contre leur gré cette pauvreté que je leur donne comme une médecine pour leur (306) âme : la fortune eût été pour eux un mal et une cause de damnation.
2.- Si mes serviteurs sont pauvres, ils ne sont pas mendiants. Le mendiant n’a pas souvent ce qui lui est nécessaire, et il souffre de grandes privations : le pauvre n’est pas dans l’abondance, mais il a le nécessaire. Je ne manque jamais à ceux qui espèrent en moi. Quelquefois, cependant, je les réduis à une certaine extrémité, afin qu’ils voient et qu’ils comprennent plus clairement que je puis et que je  veux fournir à tous leurs besoins. C’est ce qui fait, qu’ils se confient davantage à ma providence, et qu’ils s’attachent avec plus d’amour à la vraie pauvreté, leur épouse.
3.- Alors, par des effets merveilleux de ma bonté, le Saint Esprit, qui désire toujours les assister, pourvoit à leurs besoins extérieurs même, en inspirant aux riches la pensée de les secourir : et ainsi la vie de mes chers pauvres est alimentée par cette compassion que je donne pour eux aux serviteurs du monde.
4.- Quelquefois, il est vrai, afin de fortifier leur vertu et d’éprouver leur foi et leur patience, je souffre qu’ils reçoivent des injures et des affronts. Mais celui-là même qui les insulte est forcé par ma clémence à leur donner l’aumône et à les secourir. C’est là ce que ma providence fait en général pour mes chers pauvres. D’autres fois, pour mes grands amis et mes plus fidèles serviteurs, ma providence agit sans l’intermédiaire des créatures, directement, comme tu eu as fait l’expérience.
 5.- Ne l’as-tu pas entendu raconter de ton Père, le bienheureux Dominique, mon glorieux serviteur? Dans les premiers temps de son Ordre, à l’heure du repas, les Frères n’avaient rien à manger ; mais comme il espérait en moi, et qu’il était certain de ma providence, il dit aux Frères de s’asseoir, et quand ils eurent obéi à leur Père, je n’abandonnai pas ceux qui espéraient en moi : j’envoyai deux ,anges avec des pains très blancs qui fournirent abondamment plusieurs repas. Ma providence agit ainsi sans l’intermédiaire de l’homme, et par le seul acte de ma bonté.
6.- Quelquefois aussi ma providence multiplie pour eux des quantités qui étaient insuffisantes. C’est ce qui arriva pour ta compagne, la bienheureuse Agnès, qui me servit depuis son enfance jusqu’au dernier instant de sa vie avec (307) une humilité si sincère et une si ferme espérance, qu’elle n’eut jamais la moindre inquiétude pour elle et pour sa famille. Cette chère petite pauvre n’avait pour toute fortune qu’une foi vive, lorsque la glorieuse Vierge Marie lui donna l’ordre de bâtir un beau monastère, dans un lieu souillé par des femmes de mauvaise vie. Elle n’eut aucune inquiétude et ne dit pas : Comment pourrais-je accomplir une oeuvre si difficile? Elle mit en moi toute sa confiance, et bâtit avec ma providence le monastère de religieuses, où elle plaça dix huit jeunes vierges qui n’avaient d’autres choses que ce que je leur envoyais.
7.- Une fois cependant je les laissai trois jours sans pain, et elles ne mangèrent que des herbes. Tu pourrais t’en étonner et me dire : Comment avez-vous permis une telle extrémité, puisque vous m’avez assuré que vous ne manquiez jamais à ceux qui espèrent en vous? Il semble que votre providence a fait défaut en cette circonstance,  puisque en général l’homme ne peut vivre d’herbes seulement, surtout lorsqu’il n’est pas arrivé à une grande perfection. La bienheureuse Agnès était assez parfaite, mais nous pouvons croire que toutes ses filles ne l’étalent pas autant.
8.- Je te répondrai que j’ai agi de la sorte pour leur faire aimer avec plus d’ardeur et de perfection ma providence. Les imparfaits trouvèrent dans le miracle qui sui vit un puissant moyen d’acquérir la sainte lumière de la foi. Je puis d’ailleurs, en pareille circonstance, faire en sorte que le corps profite plus d’un peu d’herbes, ou de n’importe qu’elle autre substance, que du pain qu’il recevait auparavant, et de tout autre aliment que l’homme prépare pour se nourrir, N’en as-tu pas fait toi-même l’expérience? Je puis aussi faire alors une multiplication miraculeuse.
9.- Après ces trois jours de disette, ma fidèle Agnès éleva vers moi son coeur et m’adressa cette prière : Mon bien-aimé Seigneur, mon tendre Père, mon éternel Époux, ne m’avez-vous pas ordonné de retirer de leur famille ces vierges, et les avez-vous réunies dans votre maison pour les laisser mourir de faim? Bon Maître, pourvoyez donc à leurs besoins.
10.- C’était moi qui lui faisais faire cette prière ; je me plaisais à éprouver sa foi et à exaucer son humble (308) demande. Pour satisfaire son coeur qui s’élevait vers moi, j’inspirai à quelqu’un la pensée de lui porter cinq petits pains et je le lui révélai. Quand celui qui venait approcha de la porte, Agnès dit à une de ses filles : Ma fille, allez au tour et apportez le pain que le Seigneur nous envoie dans sa bonté. Dès que les pains furent apportés On se mit à table, et pendant qu’elle faisait le partage, je mis dans ses mains une telle puissance, que les pains se multiplièrent si abondamment, que toutes furent rassasiées, et qu’il en resta assez sur la table pour fournir largement aux repas suivants.
11.- C’est par des moyens semblables que ma providence assiste mes serviteurs et mes amis qui sont devenus non seulement pauvres volontaires, mais encore pauvres d’esprit et d’intention ; car il leur servirait peu de faire comme les anciens philosophes, qui, par le désir qu’ils avaient d’acquérir une science profane, méprisaient les richesses et se faisaient volontairement pauvres, comprenant, par leur expérience ou par la lumière naturelle, que cet embarras extérieur des richesses du monde devait les empêcher d’atteindre la perfection de la science, à laquelle tendait leur intelligence comme à leur fin dernière. Mais parce que cette pauvreté volontaire n’avait pas pour motif la gloire et l’honneur de mon nom, ces philosophes ne purent avoir la vie de la grâce et la perfection ; ils n’eurent en partage que la mort éternelle.

CL.- Des maux que causent la possession et le désir déréglé des richesses.


1.- Vois, ma fille bien-aimée, quelle honte et quel sujet de confusion pour les hommes. Des chrétiens se passionnent misérablement pour les richesses, tandis que la raison leur est donnée pour acquérir les biens éternels. Ils ne font pas même ce que faisaient les philosophes pour acquérir une science inutile. Parce qu’ils comprenaient que les richesses étaient un obstacle pour eux, ils les méprisaient et les repoussaient. Ces chrétiens au contraire semblent vouloir s’en faire un dieu, et il est évident qu’ils sont plus affligés de perdre ces richesses temporelles que de me perdre, moi qui suis le souverain Bien.  (309)
2.-Si tu y réfléchis, tu verras que tous les maux viennent du désir déréglé d’amasser des richesses. Ce désir enfante l’orgueil, qui fait que l’homme. veut dominer ; l’injustice, qui le rend coupable envers lui et les autres ; l’avarice, qui le pousse par la soif de l’or à dépouiller son frère, et à ravir à l’Eglise même les biens qui sont payés du sang précieux de mon Fils. De là procèdent aussi le trafic de la chair du prochain, et le trafic du temps que font les usuriers qui vendent comme des voleurs ce qui ne leur appartient pas. De là viennent la gourmandise et cette avidité d’aliments inutiles qui produisent l’impureté ; car, sans ces excès, tomberait-on souvent dans de si grandes misères?
3.- Combien le désir d ces richesses n’engendre-t-il pas d’homicides, de haines, de trahisons, de cruautés envers le prochain, et aussi d’infidélités envers moi! Car les hommes s’imaginent que c’est par leur propre vertu qu’ils acquièrent et. possèdent leurs biens, tandis que c’est uniquement de ma providence qu’ils les reçoivent. Ils poussent l’ingratitude jusqu’à ne pas espérer en moi, mais seulement dans le néant de leurs richesses. Leur aveuglement est tel, qu’ils ne voient pas Combien ils s’abusent, puisque dès cette vie, je les prive souvent, pour leur bien, de ces richesses, que la mort, du reste, finit toujours par enlever ; ils reconnaissent alors que leur espérance était vaine et sans fondement.
4.- Le désir déréglé des richesses rend l’homme pauvre et tue en lui la vie de la grâce. Il devient cruel pour lui-même, et perd ce qu’il y avait d’infini dans son coeur ; car au lieu d’être en moi, qui suis le Bien suprême et infini, son désir se borne et s’unit à une chose finie et méprisable. Il ne peut plus jouir du goût délicieux de la vertu et du suave parfum de la pauvreté ; il ,a perdu l’empire sur lui-même en se faisant l’esclave des richesses ; il est insatiable, parce qu’il aime des choses inférieures à lui-même, car les créatures sont faites pour servir l’homme et non pour en être servies. L’homme ne doit servir que moi, qui suis sa fin.
5.- A combien de travaux, de peines et de dangers l’homme se soumet, sur terre et sur mer, afin d’amasser des richesses, non seulement pour suffire à ses besoins, mais pour satisfaire son luxe, sa concupiscence et son avarice (310), pour revenir vivre dans sa patrie au milieu de la splendeur et de la gloire ; et il ne se donne pas la moindre peine pour acquérir les vertus, qui sont les véritables richesses de l’âme. Il a étouffé sous ces vains trésors le coeur avec lequel il devait me servir, et sa conscience est écrasée par tous ses injustes profits.
6.- Vois donc à quel esclavage et à quelle misère il est réduit. Encore si sa fortune était stable ; mais rien n’est plus mobile et plus trompeur. Celui qui est riche aujourd’hui sera pauvre demain, li est maintenant au faite des honneurs, il sera tout à l’heure dans la fange. Le monde le respecte et l’honore à cause de ses fausses richesses ; mais dès qu’il les a perdues, il ne trouve que des mépris et des traitements sans pitié ; car on l’aimait pour ses richesses et non pour ses vertus ; s’il avait été aimé pour quelques vertus, il n’eût pas perdu l’estime et l’amour de ses semblables, parce qu’en perdant ses richesses il eût conservé ses vertus.
7.- Oh ! combien cette âme est chargée de pesants fardeaux ! Ils sont si lourds, qu’elle ne peut courir dans la route de. son pèlerinage, ni passer par la porte étroite. Ma Vérité incarnée vous a dit dans l’Évangile qu’il est plus facile à un chameau d’entrer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux (S. Marc. X, 25 ). Ceci regarde tous ceux qui désirent et qui possèdent les richesses avec un amour déréglé ; car il est beaucoup de pauvres qui désirent et qui possèdent aussi par la volonté tout l’univers qu’ils ne peuvent avoir. Ceux-là n’entreront point assurément, parce que la porte est humble et petite. Il faut auparavant déposer son fardeau, retrancher l’amour déréglé du monde, et courber humblement la tète. Il est impossible d’entrer autrement ; car il n’y a pas d’autre chemin pour arriver à la vie.
8.- Il y a bien un autre chemin plus large qui conduit à la damnation éternelle, et ceux qui le : suivent sont des aveugles qui ne voient pas leur ruine irréparable. Ils ont, dès Cette vie, un avant-goût de l’enfer ; ils souffrent de toute manière, car ils désirent plus qu’il ne peuvent avoir ; ils sont tourmentés de ce qu’ils n’ont pas, et torturés de ce qu’ils perdent. La douleur de leur perte a pour mesure l’ardeur coupable avec laquelle ils possèdent (311). Ils perdent aussi la charité, l’amour de leurs frères et ne prennent aucun soin d’acquérir des vertus. O corruption du monde, non pas des choses qui s’y trouvent, car je les ai créées bonnes et parfaites, mais corruption de l’amour charnel et déréglé qui les possède. Ta langue, ma fille bien-aimée, ne saura jamais dire tous les maux qui viennent des richesses ; ces malheureux aveugles les voient et les éprouvent, et ils ne veulent pas reconnaître leur sort épouvantable.


CLI.- Excellence de la pauvreté spirituelle, et comment Jésus-Christ en a donné l’exemple.




1.- Je veux, ma fille, te faire comprendre davantage le trésor de la pauvreté volontaire spirituelle. Qui en connaît la valeur? Les pauvres, mes serviteurs bien-aimés, qui, pour marcher plus facilement et pour entrer par la porte étroite, rejettent le fardeau de la richesse. Les uns le font réellement et mentalement, ils observent les préceptes et les conseils de fait et d’esprit ; les autres gardent les préceptes réellement et les conseils mentalement, ils se dépouillent seulement de l’amour des richesses ; ils ne les possèdent pas avec un amour déréglé, mais avec une sainte crainte, tellement qu’ils n’en sont pas les possesseurs avares, mais qu’ils en sont les distributeurs pour secourir les pauvres.
2.- Les premiers sont plus parfaits que les seconds parce qu’ils sont plus libres et portent des fruits meilleurs ; ils font briller davantage ma providence, comme je te l’expliquerai en te parlant de la vraie pauvreté. Les uns et les autres baissent humblement la tête et se font saintement petits. Je t’ai déjà parlé des seconds ; je vais t’entretenir seulement des premiers.
3.- Je t’ai montré que tout le mal, toutes les peines dans cette vie et dans l’autre viennent de l’amour déréglé des richesses : tu sauras qu’au contraire tout bien, toute
paix, tout repos naît de la vraie pauvreté. Contemple mes chers pauvres, et admire dans quelle joie sainte ils-passent leurs jours ; jamais ils ne sont tristes que des offenses qui me sont faites, et cette tristesse, au lieu de les affliger (313), nourrit leur âme. Ils ont par la pauvreté, trouvé la richesse suprême ; ils ont quitté d’épaisses ténèbres pour jouir de la lumière parfaite. Parce qu’ils ont abandonné la misère du monde, ils jouissent d’une joie sans borne, et ils échangent contre des biens méprisables des trésors immortels. Aussi goûtent-ils une grande consolation à souffrir pour la justice.
4.- Leurs rapports avec les créatures raisonnables sont pleins d’amour, et ils ne font acception de personne. Où brillent la vertu et l’espérance, si ce n’est où brûle le feu d’une vraie charité? Aussi, à la lumière de la foi qu’ils ont puisée en moi, qui suis l’éternelle et souveraine Félicité, ils ont renoncé aux espérances et aux consolations du monde, et ils ont embrassé comme une tendre épouse la vraie pauvreté avec toutes ses servantes. Les servantes de la pauvreté sont l’abaissement, le mépris de soi-même et l’humilité sincère qui servent et nourrissent dans l’âme l’amour de la pauvreté.
5.- C’est cette fidèle espérance et cette ardente charité qui poussent mes vrais serviteurs à fuir les vanités du monde, les richesses et leur propre satisfaction : c’est en les méprisant que mon glorieux apôtre saint Matthieu quitta brusquement sa banque et laissa les grandes richesses qu’il avait dans le monde pour suivre sans délai ma Vérité incarnée. Mon Fils vous a enseigné à aimer et à suivre la pauvreté, et il vous l’a prêchée non seulement par ses paroles, mais par ses exemples ; car, depuis le premier jour de sa naissance jusqu’au dernier instant de sa vie, toutes ses actions vous ont enseigné cette grande doctrine.
6.- C’est pour vous qu’il a épousé la pauvreté, lui qui est la Félicité suprême par l’union de la nature divine, lui qui est un avec moi, la Richesse infinie. En le contemplant            pauvre et humilié, songe que c’est un Dieu fait homme et revêtu de la bassesse de votre humanité. Vois cet aimable Verbe naissant dans une étable pendant que sa Mère, la bienheureuse Vierge Marie, était en voyage, pour vous montrer, à vous qui êtes voyageurs, que vous devez vous arrêter dans l’étable de la connaissance de vous-même, afin d’y renaître lorsque la grâce m’aura fait naître dans vos âmes.
7.- Tu le vois au milieu de deux animaux et dans une telle misère, que Marie n’avait pas même de quoi le couvrir ; (313) elle Je défendait contre la rigueur du froid avec l’haleine de ces animaux, et le réchauffait avec du foin. Lui, qui est le feu de la charité parfaite, il voulut avoir froid dans son humanité, et souffrir pendant toute sa vie avec et sans ses disciples. Quelquefois la faim forçait ses disciples à égrener des épis pour prendre quelque nourriture.
8.- Au dernier jour de son existence, il fut dépouillé de ses vêtements et flagellé à la colonne ; il supporta sur la Croix la soif et toutes les douleurs avec une ineffable patience. Il fut réduit à une telle extrémité, que la terre et Je bois lui manquèrent pour reposer sa tête, et qu’il fut obligé de l’incliner sur son épaule. Dans l’ivresse de son amour, il fit avec son Sang précieux un bain au genre humain. De son corps sacré entrouvert il versa ce Sang à grands flots, et tira de son extrême pauvreté les trésors les plus abondants.
9.- Pendant qu’il était ainsi cloué au bois misérable de la Croix, il répandait avec une générosité infinie ses richesses sur toutes les créatures raisonnables ; en goûtant l’amertume du fiel, il vous procurait une douceur incomparable ; la tristesse qui l’accablait devenait votre consolation, et les clous qui l’attachaient à la Croix vous délivrèrent des liens du péché mortel. En se faisant esclave par amour, il vous affranchit de l’esclavage du démon ; lorsqu’il fut vendu, il vous racheta de son sang ; et lorsqu’il accepta la mort, il vous donna la vie.
10.- Il vous a bien enseigné l’amour ; car il ne pouvait mieux vous prouver la grandeur de son amour qu’en donnant sa vie pour vous, qui étiez ses ennemis et les ennemis de son Père. L’homme pécheur semble l’ignorer, puisqu’il m’offense et tient si peu compte d’un si grand prix. Il vous a aussi enseigné la véritable humilité, car il s’est humilié jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix  il vous a donné l’exemple de l’abaissement, car il a supporté des injustices et. Des affronts sans nombre ; il vous a donné l’exemple dé la vraie pauvreté, car il a dit lui-même dans l’Évangile : « Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer-sa tête ».
11.- Qui connaît ces choses ? celui qui a la sainte lumière de la foi ; et où se trouve cette foi ? dans les pauvres qui sont pauvres d’intention ; dans ceux, qui ont (314) choisi la pauvreté comme une royale épouse, en jetant les vaines richesses qui causent les ténèbres de l’infidélité. Cette reine a un royaume que rien ne peut troubler. La paix y réside et la justice y abonde, parce que tout ce qui cause l’injustice On est éloigné ; les murailles de sa cité sont puissantes, parce qu’elles ne sont pas faites d’une terre molle, ni bâties sur le sable, de manière qu’elles puissent être renversées par le moindre vent : elles sont appuyées sur la pierre inébranlable, qui est Jésus-Christ mon Fils. La lumière y est sans ténèbres et la chaleur sans hiver, parce que la mère de cette grande reine est la charité infinie de Dieu.
12.- Les ornements de la Cité sont les liens de l’affection et les douceurs de la miséricorde, parce que le tyran des richesses, qui est si cruel, en a été chassé. L’amour du prochain établit entre tous les habitants les plus bienveillants rapports. On y trouve aussi une prudence longue et persévérante : la cité est gardée par des sentinelles vigilantes, parce que l’âme qui épouse cette reine, possède toutes les richesses éternelles ; elle ne peut les posséder en possédant les richesses de la terre ; car si la mort, c’est-à-dire l’amour des richesses, entrait dans cette âme, elle perdrait sur-le-champ sa fortune, et serait-par le fait même exilé de la cité et plongée dans la plus grande misère. Mais si elle reste fidèle à son épouse, elle partage toujours avec elle ses trésors.
13.- Qui voit ces merveilles? l’âme qui a la lumière de la foi : la pauvreté revêt celui qui l’épouse d’une admirable pureté. Elle lui enlève les vaines richesses qui la souillaient ; elle l’éloigne des sociétés mauvaises et lui en procure de bonnes ; elle le guérit des engourdissements de la négligence, et chasse loin de lui les embarras du monde. Elle lui ôte l’amertume des richesses de la vie présente et lui en laisse la douceur : les épines tombent, et la rose reste dans toute sa beauté. Elle purge l’âme de toutes les humeurs corrompues de l’amour déréglé, et la dispose à se nourrir des vertus, qui ont une douceur extrême. Elle lui donne deux serviteurs qui font tout dans sa maison ; la haine et l’amour. La haine des vices et de la sensualité la purifie de tonte souillure, et l’amour des vertus se charge de l’embellir, en effaçant toute inquiétude (315) servile, et en y mettant la paix d’une sainte crainte.
14.- Dès qu’elle s’est attachée à la pauvreté, l’âme trouve toutes les vertus, les grâces, les douceurs et les consolations qu’elle peut désirer. Elle ne craint pas d’ennemis, car personne ne peut lui faire la guerre ; elle ne craint pas la faim et les privations, parce que la foi l’éclaire, et que son espérance est en moi, son Créateur, qui donne toutes les richesses, et qui nourrit toutes les créatures par les soins -de ma providence. A-t-on jamais vu ou entendu dire qu’un de mes vrais serviteurs, un époux fidèle de la pauvreté soit mort de faim? Non, certainement ; mais beaucoup sont morts au milieu de leurs richesses, parce qu’ils ne se confiaient pas en moi.
15.- Je ne manque jamais à mes pauvres bien-aimés qui ne cessent jamais d’espérer en moi. Je veille toujours sur eux comme un bon et tendre père. Avec quelle joie et quelle liberté d’âme ils viennent à moi ! parce qu’ils savent, à la lumière de là foi, que, depuis le premier jusqu’au dernier jour de la vie, ma providence ne cesse d’agir dans toutes les choses spirituelles ou temporelles.
16.- Quelquefois, il est vrai, je permets qu’ils souffrent parce que je veux qu’ils grandissent dans la foi et clans l’espérance d’être largement récompensés de toutes leurs peines. Mais je ne les abandonne dans aucune nécessité ; ils éprouvent toujours ma providence infinie, et goûtent le lait d’une douceur divine. Loin de craindre l’amertume de la mort corporelle, ils la demandent avec un ardent désir
parce qu’ils sont déjà morts aux sens comme aux richesses, et qu’ils aiment éperdument la vraie pauvreté, qu’ils ont prise pour épouse. Ils vivent tous les jours dans ma volonté, ils sont prêts à tout souffrir, la chaleur, le froid, la nudité, la faim, la soif, les mépris, les affronts ; ils soupirent même après la mort, parce qu’ils voudraient donner leur vie, par amour pour moi, qui suis leur vie, et verser leur sang par amour du sang répandu pour eux.
17.- Contemple mes pauvres apôtres et mes glorieux martyrs : Pierre, Paul, Étienne, et Laurent qui semblait être, non pas sur du feu, mais sur des fleurs douces et odoriférantes. Il disait en riant à son bourreau : « Ce côté est cuit, tourne l’autre et mange ». La flamme ardente de la charité divine étouffait le feu méprisable qui attaquait son corps. (316) Les pierres d’Étienne ne lui semblaient-elles pas des roses? Quelle était la cause de ces prodiges? L’amour qui leur avait fait épouser la royale pauvreté. Ils avaient abandonné tout l’univers par amour pour moi ; ils l’avaient choisie à la sainte lumière de la foi, avec une espérance ferme et une prompte obéissance. Ils obéissaient aux conseils et aux préceptes de mon Fils bien-aimé spirituellement et réellement.
18.- ils désiraient la mort et ils supportaient la vie avec peine, non pas pour fuir le travail, mais pour s’unir à moi, qui suis leur fin. Pourquoi ne craignaient-ils pas la mort, que l’homme craint naturellement? Parce que leur épouse, la vraie pauvreté, les rassurait, en leur ôtant tout amour de leur corps et des richesses de la terre ; ils avaient saintement foulé aux pieds et vaincu l’amour naturel par la lumière de l’amour divin surnaturel. Comment dans cet état un homme pourrait-il se plaindre de la mort du corps, lui qui désire perdre la vie, qu’il trouve amère et longue? Comment aurait-il quelque regret de perdre ces frivoles richesses qu’il méprise depuis si longtemps avec tant d’ardeur? Qu’y a-t-il d’étonnant? Celui qui n’aime pas une chose ne la regrette pas ; il se réjouit plutôt quand il perd ce qu’il déteste. De quelque côté que tu regardes, tu trouveras mes chers pauvres goûtant la paix et le repos parfaits.
19.- Dans les malheureux, au contraire, qui possèdent les richesses du monde avec un amour si déréglé, tu trouveras le désordre et des peines insupportables, quoiqu’il n’en paraisse souvent rien à l’extérieur. Qui n’eût pas cru que Lazare était dans la plus grande détresse, et que le riche maudit était dans la paix et la joie? Il n’en était rien cependant : le riche souffrait plus au milieu de son abondance temporelle que le pauvre Lazare, dévoré par la lèpre. Dans Lazare, la volonté propre était morte ; il vivait en moi, qui le soulageais et le consolais de ses peines. Dans le riche, au contraire, sa volonté était vivante et devenait son tourment. Lorsque Lazare était repoussé par les hommes et surtout par le mauvais riche, lorsqu’il n’avait personne pour laver ses blessures et lui porter le moindre Secours ma providence envoyait quelque animal sans raison, qui léchait ses ulcères. A la fin de leur vie, la lumière de la foi montre Lazare dans la gloire, et le riche au milieu des supplices de l’enfer.
20.- Oui, les riches sont dévorés par la tristesse, et mes (317) chers pauvres sont plongés dans une sainte joie. Je les tiens près de mon cœur, je les nourris du lait de mes consolations. Parce qu’ils ont tout quitté par amour pour moi, je me donne à eux tout entier. L’Esprit Saint est pour eux comme une mère tendre qui prend soin de leur âme et de leur corps partout où ils se trouvent. J’envoie même des animaux sauvages pour les servir, quand ils en ont besoin. Lorsqu’un solitaire est malade, je fais en sorte qu’un autre solitaire aille le visiter et l’assister. Tu sais bien que plusieurs fois je t’ai forcée de sortir de ta cellule contre ton habitude, pour secourir quelques pauvres malades. Toi-même, n’as-tu pas éprouvé ainsi ma providence? Et quand tu n’avais aucune créature pour t’assister, t’ai-je fait défaut, moi qui suis ton créateur?
21.- Non, jamais je ne manque à ceux qui espèrent en moi : ma douce providence leur est assurée,  homme est dans les délices et la magnificence. Il donne à son corps les soins et les mets recherchés ; il est cependant toujours malade. Mais si, par amour pour moi, il se méprise lui-même, s’il embrasse la pauvreté volontaire et ne garde qu’un vêtement pour couvrir son corps, pourquoi retrouve-t-il la force et la santé ? Rien ne semble lui nuire, et il devient insensible au froid, au chaud et à la nourriture la plus grossière. C’est que ma providence se charge de lui, dès qu’il se confie entièrement à mes soins, en mourant à lui-même. Tu vois, ma chère fille, dans quel repos vivent mes pauvres bien-aimés.





CLII.- Résumé de ce qui a été dit sur la providence.




1.- Je t’ai dit, ma chère fille, quelque chose sur ma providence, qui assiste de toute manière les créatures. Je t’ai montré que dès l’instant où j’ai créé le premier monde, et que j’ai fait le second, qui est l’homme, à mon image et ressemblance, j’ai toujours manifesté ma providence ; et tout ce que j’ai fait, que je fais et que je ferai, doit servir à votre salut, parce que je veux votre sanctification et que je dispose tout pour cette fin.
2.- Les méchants ne le voient pas, parce qu’ils se sont privés de la lumière ; ils ne comprennent rien et se scandalisent (318) de moi. Je les supporte avec patience, je les attends jusqu’au dernier instant, fournissant aux besoins des pécheurs comme à ceux des justes, dans toutes les choses spirituelles et temporelles.
3.- Je t’ai dit quelques mots de l’imperfection des richesses, et de la misère où elles conduisent ceux qui les possèdent avec : un amour déréglé. Je t’ai parlé de l’excellence de la pauvreté, et de l’abondance des richesses que cette pauvreté procure à l’homme qui l’a choisie pour épouse. Elle a pour compagne et pour soeur l’abaissement, dont je t’entretiendrai en te parlant de l’obéissance. Je t’ai montré combien cette vertu me plaît, et combien elle est l’objet des tendres soins de ma providence.
4.- Tout ce que je t’ai dit à la louange de cette grande vertu, et de la sainte foi qui fait parvenir l’âme à cet état supérieur, doit augmenter ton espérance et te porter à frapper sans cesse à la porte de ma miséricorde. Sois fermement persuadée que je remplirai ton désir et celui de mes serviteurs et de ,mes amis qui souffrent tant de peines jusqu’à la mort. Prends courage et réjouis-toi en moi, parce que je suis ton défenseur et ton consolateur en toute chose. Tu vois que j’ai répondu à ce que tu m’avais demandé sur ma providence, en te montrant que je pourvois avec bonté à tous les besoins de mes créatures ; et tu sais que je ne méprise jamais vos saints désirs.


CLIII.- L’âme remercie Dieu et le prie humblement de lui dire quelque chose sur la vertu d’obéissance.


1.- Alors cette âme fut tout enivrée de la sainte pauvreté, toute dilatée ,par l’éternelle et souveraine grandeur, toute transformée dans l’abîme de l’ineffable et infinie providence. Il lui semblait être délivrée de son corps, tant elle était ravie et embrasée par le feu de la charité. Son intelligence contemplait la Majesté divine, et elle disait à Dieu le Père :
2.- O Père éternel, ô Feu, abîme de Charité, éternelle Beauté, éternelle Sagesse, éternelle Bonté, éternelle Clémence! Espérance et Refuge des pécheurs, Largesse inestimable, Bien éternel, infini! O feu d’amour! avez-vous donc besoin de votre créature? Il me semble qu’elle vous manque ; (319) car vous agissez comme si vous ne pouviez vivre sans elle, vous qui êtes la vie dont vit toute chose, et sans laquelle rien ne peut vivre. Pourquoi donc vous passionner ainsi pour votre créature? Pourquoi l’aimer éperdument, vous qui êtes heureux en vous-même? Pourquoi vous plaire en elle, en être avide et affamé, désirer tant son salut, la chercher d’une manière si admirable, lorsqu’elle vous fuit? Vous vous approchez, elle s’éloigne. Pouviez-vous venir plus près, puisque vous avez revêtu votre Verbe de notre humanité?
3.- Que dirais-je encore? je balbutie, je pousse des cris vers vous. Ah! oui, je ne puis plus parler, parce que la langue est trop faible pour exprimer ce que l’âme éprouve et comprend lorsqu’elle vous désire, vous, le Bien suprême, infini. N’est-il pas juste que je répète cette parole de l’apôtre saint Paul : « Non, l’oeil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, le coeur n’a pas senti ce que j’ai vu, ce que Dieu prépare à ceux qui l’aiment ». Mais qu’as-tu vu? J’ai vu les secrets de Dieu, dont l’homme ne peut parler, que dis-je! non, je ne puis y parvenir avec des sens si lourds et si charnels. Je dirai seulement, ô mon âme, que tu as vu et goûté les profondeurs inénarrables de la souveraine et éternelle Providence.
4.- Et maintenant je vous rends grâces, ô Père, de l’immense bonté que vous avez montrée envers moi, qui en suis si indigne. Mais, parce que je sais que vous voulez bien satisfaire tous les saints désirs, et que votre Vérité ne peut tromper, je souhaite que vous m’expliquiez un peu la vertu d’obéissance et son excellence, ainsi que vous me l’avez promis, afin que je me passionne pour elle et que je ne m’en éloigne jamais. Qu’il plaise à votre Majesté de me parler de sa perfection, du lieu où je pourrai la trouver, de ce qui peut me la faire perdre et de ce qui peut me la procurer ; par quel signe saurai-je que je la possède ou que j’en suis privée?          (320)
www.JesusMarie.com